Le 15h17 pour Paris

Heroes

 

21 août 2015. Lors du trajet Amsterdam-Paris, le train Thalys subit une attaque terroriste. Quatre passagers, dont notamment deux soldats américains en permission arrivent à maîtriser l’assaillant Retour sur des destinées à la fois singulières et pourtant si communes au possible.

Traiter d’un fait divers récent n’est jamais chose aisée qui plus est quand il concerne un aspect aussi délicat que le terrorisme. Ajoutez à cela une action héroïque accomplie par deux soldats américains et vous pourrez entrevoir la volée de bois vert s’abattre sur vous. Le choix d’Eastwood de traiter avec Le 15h17 pour Paris de la tentative d’attentat avortée il y a près de trois ans, relève d’un culot monstre et surtout d’un pari fou, quand on sait qu’avec l’âge, le cinéaste se rapproche un peu plus vers la fin. L’idée secrète de partir comme John Huston avec non seulement le devoir accompli mais aussi avec le plus beau film de sa carrière doit trotter dans la tête du cinéaste. Et avec ce nouveau film, beaucoup prédisaient un échec retentissant et d’autres une énième hagiographie de la puissance américaine. Quand bien même ces derniers n’ont toujours pas compris ni les motivations du réalisateur avec American Sniper et Sully. Quand bien même peu se rendent compte de son importance dans le paysage du septième art, sans doute l’un des metteurs en scène les plus sous-estimés par une partie du public et des critiques de son vivant.

Force est de constater que oui le sujet de Le 15h17 pour Paris fera grincer des dents, ne manquera point de taxer Eastwood de raciste, fasciste, réactionnaire et nationaliste ou autres noms d’oiseaux. Pourtant si le long-métrage n’est point le meilleur de sa carrière, avouons-le d’entrée, il mérite une attention toute particulière et confirme l’évolution d’un regard. Troisième volet d’une trilogie consacrée aux héros américains contemporains post 11 septembre, Le 15h17 pour Paris affiche une ambition très éloignée du récit prépondérant et millimétré de la bravoure qui parcourait American Sniper ou Sully. Eastwood ne consacre en effet que quelques minutes au drame préférant se consacrer aux tranches de vie des « héros » malgré eux. De nouveau, il s’attache à la description de microcosmes sociétaux, où la fragmentation, l’isolement et l’intolérance sont de mise. En contant les racines de ces protagonistes à l’apparat ordinaire, il dresse un portrait tout en nuances du rêve américain, des liens unissant les communautés où la religion, pilier fondamental de l’Amérique est autant motif d’exclusion qu’elle est intimement liée à la radicalisation de certains terroristes. Au lieu de se consacrer à ces acteurs jouant leur propre rôle dès le départ, Eastwood s’attache à une enfance ni malheureuse ni enjouée, mais fondatrice d’un état d’esprit malgré l’échec et la perte. Car le réalisateur ne pose pas les bases d’une vie riche en exploits et accomplissements pour nos protagonistes mais plutôt les raisons d’un engagement total en dépit d’efforts vains, d’une mise au placard, et d’espoirs déchus. Eux qui ne rêvaient que d’accomplir le bien sur le champ de bataille sont arraisonnés loin des conflits, jugés incapables de se hisser à la hauteur des enjeux quand le dernier lui se cantonne à une vie rangée sans relief. Pourtant quand l’occasion se présente, chacun voit dans une virée en Europe une sortie enivrante, propre à l’exaltation et à atteindre une véritable plénitude. Si leur périple se confond avec les clichés usuels touristiques, ce n’est que pour mieux préparer leur confrontation future avec leur credo.

La tension va crescendo, même si le spectateur, conscient de la réalité des faits, à l’instar de Sully, pourrait oublier la tournure des événements. En une fraction de secondes, Eastwood parvient à changer la donne, rend crûment sans ambages ni roulement de tambour les quelques instants de vérité. L’héroïsme en est réduit à sa plus simple expression preuve que le Pale Rider a depuis bien longtemps laissé sa place aux légendes désabusées de Mémoires de nos pères. Et si le glas ne sonna pas cette fois, c’est pour mieux montrer que l’ordinaire peut devenir extraordinaire et que la réalité peut devenir légende au-delà des espérances fordiennes.

Certes, Le 15h17 pour Paris n’est ni Impitoyable, ni Million Dollar Baby ou encore Honkitonk Man, la faute en incombe à un sujet parfois lourd à porter et surtout à une forme fatigante par moments. Pourtant, en accouchant de cette trilogie du « héros américain » de l’histoire récente, le réalisateur de Sur la route de Madison ajoute une lueur nouvelle à sa vision du monde. Il était cynique quand le mal prenait le pas sur le bien, mélancolique quand les sentiments que ne renieraient pas Douglas Sirk arrachaient quelques larmes et surtout tragique quand le sacrifice n’avait de valeur que pour quelques-uns. L’ultime héritier du classicisme hollywoodien place aujourd’hui sa dernière once d’espoir intime dans son cinéma à l’heure prochaine de tirer sa révérence. Il est aujourd’hui plus que jamais rêveur…

 

Film américain de Clint Eastwood avec Anthony Sadler, Alek Skarlatos, Spencer Stone. Durée 1h34. Sortie le 7 février 2018

 

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture