Tunnel
Manhee, jeune femme belle et innocente, se rend au Festival de Cannes avec son entreprise dans le but de vendre des films. Sur place, sa patronne décide de la licencier, invoquant sa malhonnêteté comme motif. Manhee dans son errance fait la connaissance de Claire, professeur et photographe, qui va l’entraîner dans un voyage intérieur pour le meilleur et pour le pire.
Si tourner est la raison de vivre de bon nombre de cinéastes, peu d’entre eux possèdent comme Hong-Sang Hoo, cette soif inextinguible de filmer encore et encore, et ce jusqu’à l’épuisement. Seconde sortie du réalisateur cette année peu après Seule sur la plage la nuit, La caméra de Claire a, en revanche, été tourné il y a deux ans déjà et en cinq jours seulement durant le festival de Cannes. Le metteur en scène retrouve d’ailleurs Isabelle Huppert qu’il avait déjà dirigée dans In Another Country et bien évidemment son actrice fétiche Kim Hee Min.
D’emblée, La caméra de Claire déstabilise par sa durée plus proche d’un moyen métrage. De ceux qui en déduiront que le cinéaste n’a rien à dire, ils se trompent lourdement. De ceux qui lui reprochent qu’il s’entête dans les mêmes thématiques, ils se fourvoient en partie. Certes, comme à son habitude, le sud-coréen parle encore et encore de l’amour, des hésitations et blessures qui en découlent, de la souffrance quotidienne causée par l’introspection faîte à des moments clés. Mais comme toujours, le réalisateur fait preuve d’une folle imagination pour afficher ses thématiques fétiches à l’écran, renouvelant sans cesse ses angles de caméra, la disposition des acteurs, son cadrage délicat, mais comme à l’accoutumée avec le même regard mélancolique. Dans La caméra de Claire, les scènes de repas n’ont rien de dionysaque mais donnent lieu à des moments de cruauté à l’état brut, masqués par un cynisme sans fards. On voit d’abord une jeune femme se faire licencier pour des raisons obscures mais se faire prendre en photo avec son bourreau. On voit également un peu plus tard un homme confesser son désir de rupture mais désirant poursuivre comme si ne rien était, une relation professionnelle avec sa compagne. Des instants détestables rendus sourds par le culot des protagonistes mais surtout par l’œil malicieux du cinéaste. Ce regard touche, fait mouche et désarçonne non pas par des éclats lyriques incessants mais plutôt par ces anecdotes sibyllines et un savoir-faire pudique, à l’image de cette discussion de dos du couple sur la plage. Dans ce fatras sentimental, Isabelle Huppert détonne en démiurge ingénue, témoin de l’instantané et prenant le temps à rebours à chaque instant. Les doubles et fantômes chers au sud-coréen sont ici plus fugaces, plus malléables mais surtout des clichés imparfaits et pourtant si vrais.
Dans ce film dépourvu de véritable scénario mais doué de répliques fort bien troussées, Hong-Song Soo n’épargne rien ni personne. Le long-métrage atteint une forme d’apogée lors d’une scène de remontrance à la violence crue couplée à la mise à nu immédiate des personnages. A travers des paroles au sous-entendu révélateur, le metteur en scène préfère choisir de ne pas vendre et de ne pas séduire, pour rester lui-même. Choix drastique et sans concession…tout à son honneur donc.
Malgré une production prolifique qui peut laisser croire à un essoufflement logique, Hong Song Soo incarne à lui seul la fontaine de jouvence des auteurs d’aujourd’hui. Certains clameront haut et fort une absence de renouvellement de sujet. D’autres cette obsession futile de l’amour qu’il aborde encore et toujours. Les derniers, un énième film dont l’existence laisse à désirer. Pourtant, il balaie d’une photo volée tous ses détracteurs aux motifs fallacieux, et prouve un peu plus que les petits riens font un grand artiste et du grand cinéma.
Film sud-coréen de Hong-Sang Soo avec Isabelle Huppert, Kim Hee Min, Jang Mi Hee. Durée 1h09. Sortie le 7 mars 2018