La rhétorique de l’excès
La confrontation finale entre les héros du Marvel Cinematic Universe et Thanos, redoutable tyran galactique à la recherche de six pierres aptes à remodeler l’univers.
Beaucoup trouvent fort appréciable une récente déclaration de James Cameron critiquant l’overdose de films de super-héros sur les écrans. Il reprochait à la fois leur manque d’originalité et leur démultiplication. Arguments d’autant plus fallacieux quant au regard de sa carrière, ses films ont été à l’instar des films de super-héros plus des réussites techniques que des œuvres dotées d’une puissance créatrice folle. D’autant plus fallacieux qu’en termes de production pure, les films de super-héros sur le marché français par exemple représentent sept sorties sur mille par an environ.
En revanche nul doute que la majorité du budget hollywoodien leur est consacré aujourd’hui. Comme les westerns ou les films de science-fiction en leur temps, films dont Cameron était un maître. Mais ce qui est étrange dans cette attaque, c’est qu’elle est en tout point identique à celles que le cinéaste a été confronté pour Terminator 2…
Pourtant, quoiqu’il en soit, cet épisode marque l’apogée de la démesure incarnée par le genre depuis le premier Superman de Donner. Déjà en termes de budget. Dépassant le colossal montant d’Avatar de James Cameron justement, ce volet avoisinerait officieusement les cinq cents millions de dollars en termes de coût. Démesure quand tu nous tiens. Il faut voir par-là l’évolution d’une époque, d’un art d’un genre qui n’en est pas à cette première envolée économique. Avatar bien sûr, Titanic (toujours de Cameron), mais également pour les cinéphiles Les dix commandements de Cecil B. De Mille ou Cléopâtre de Mankiewicz.
Ce que peu comprennent, c’est que le succès d’un genre y compris pour les films de super-héros n’est qu’une réponse à des attentes. Puisque je ne cesse de le répéter, le héros s’est muté en super-héros comme pour combler un besoin inhérent du public, lassé des genres d’hier, et qu’il permet visuellement toutes les excentricités interdites aux autres, alors ce super-héros devient la pierre angulaire du divertissement d’aujourd’hui et probablement de demain.
Excès visuels, excès budgétaires, excès en termes de casting, voici ce que nous propose donc cet Avengers : Infinity War. Censé apporter des réponses à un univers serialesque gargantuesque à l’image du genre, le long-métrage relève le défi technique de ses pairs. Déjà efficaces sur les précédents opus de Captain América, les deux frères parviennent à faire vivre une grande partie des personnages, malgré certes quelques écarts de présence inévitables. Parvenant à démultiplier les enjeux sommairement et simplement, les cinéastes traitent leur sujet avec passion, sans génie certes mais en habiles artisans, refusant toute condescendance avec leur sujet. Reprenant allègrement par annotations sibyllines, la dimension christique sacrificielle du Superman de Donner ou de Spider-Man 2 de Sam Raimi, ils réussissent également entre deux punchlines assassines, à émouvoir sans envoyer les violons.
En outre, en faisant de leur antagoniste le personnage quasi –central de l’histoire, ils font entrer Thanos, menace inexorable, au panthéon des grands méchants du cinéma de genre : Terminator, The Joker voire Darth Vader lui-même !
En outre malgré certaines envolées pompeuses inappropriées du score de Silvestri, ils rythment le long-métrage d’un souffle épique comparable par moments au premier volet de la saga voire du Retour du Roi de Peter Jackson. Souffle qui contraste remarquablement bien à des périodes anti-climatiques bienvenues et inattendues.
Certes Avengers : Infinity War est un produit. Mais pas plus que Terminator 2, Matrix, La Guerre des Mondes, et le premier Star Wars ! En outre, les frères Russo accouchent d’un long-métrage dont l’aspect graphique, entre décor post-apocalyptique et mise en scène lisible ont rarement aussi bien sied à la franchise Marvel Studios. Si le chef d’œuvre n’est point-là, le spectacle s’approche d’une facture digne des titres incontournables du genre du Superman de Richard Donner, du Spider-Man 2 de Sam Raimi, ou des Batman de Burton et Nolan.
Film américain de Joe et Anthony Russo avec Robert Downey Jr, Chris Evans, Benedict Cumberbatch, Mark Ruffalo. Sortie le 25 avril 2018. Durée 2h29