La problématique de l’historien européen face au monde turc
Rien a priori ne prédisposait Jean-François Solnon à s’intéresser à l’histoire de l’Empire ottoman. Il s’est plutôt illustré avec des biographies comme celle d’Henri III (Perrin, 2001) ou de Catherine de Médicis (Perrin, 2003) ou encore avec des ouvrages comme Le goût de rois (Perrin, 2015). En 2009, il fit paraître Le turban et la stambouline, première version de L’Empire ottoman et l’Europe rééditée chez Tempus à la rentrée 2017. Le sujet est brûlant, tant la question de l’adhésion de la Turquie à l’UE n’est pas tranchée, de surcroit avec un leader aux tendances dictatoriales comme Erdogan.
Les ottomans successeurs des byzantins
Un des grands mérites de l’ouvrage est de montrer combien les turcs ottomans, vainqueurs des byzantins, leur ont emprunté culturellement, architecturalement et politiquement. Il y aurait là un essai à écrire sur les parallèles entre Byzance, Istanbul et la troisième Rome autoproclamée, Moscou. Il reste que la conquête fut brutale et que, durant tout le XVIe siècle, les ottomans parvinrent à bout des derniers morceaux d’Empire détenus par les vénitiens (Nègrepont, Crète, Chypre).
Adversaires, partenaires et imitateurs
Les ottomans, musulmans, étaient persuadés de leur supériorité religieuse face aux européens. La conquête d’une partie de la Hongrie suscita craintes à la papauté qui tenta de ranimer l’esprit de croisade, une tendance qui perdura longtemps. Reste que l’attrait du commerce amena nombre de chrétiens à négocier privilèges, places et firmans, aidés en cela par les grecs du quartier du Phanar (les « phanariotes »), au service du sultan. L’Empire ottoman fut aussi très vite un partenaire géopolitique : l’alliance négociée par François Ier pour contrer Charles Quint fit date. Le combat naval de Lépante marqua les esprits mais ne détermina pas plus que cela l’Europe. Et puis, avec le début du reflux suite à la défaite devant Vienne en 1683 (il avait cependant commencé bien avant), les turcs cherchèrent à imiter l’infidèle, adoptant l’imprimerie, les techniques d’artillerie, etc…
De « l’homme malade de l’Europe » à Kemal
La question d’Orient traversa le XIXe siècle tant l’Empire du sultan était devenu une proie pour ses voisins, la Russie en tête. Au moment où les élites et le sultan choisissaient la voie de l’occidentalisation via les Tanzimat (et l’élimination des janissaires), seule la protection anglo-française évita le désastre lors de la guerre de Crimée. Et pourtant le turc fascine, la visite du sultan Abduläziz à Paris suscite un engouement assez peu commun. L’essor de la question des nationalités, les massacres d’arméniens (commencés sous le règne du sanguinaire d’Abdülhamid II, aujourd’hui héros de série dans la Turquie d’Erdogan…), puis les guerres balkaniques et la grande guerre marquée par le génocide arménien, amenèrent à la chute de l’Empire. Pour autant, la Turquie n’arrêta pas sa marche vers l’Europe, l’expérience de Mustafa Kemal le montre. La Turquie est-elle européenne ? Je laisse le lecteur juge.
Sylvain Bonnet
Jean-François Solnon, L’Empire ottoman et l’Europe, Perrin « Tempus, septembre 2017, 832 pages, 12 €