Bergman, une année dans une vie

Cette année-là

L’exercice du documentaire à caractère biographique n’est point chose aisée surtout quand il s’agit de traiter d’une personnalité dont l’aura aura imprégné toute la culture d’un pays. Encore plus  délicat quand bon nombre d’œuvres auront déjà traité le sujet depuis plus de quarante ans.

C’est dans cette optique que la réalisatrice Jane Magnusson s’attaque à la vie d’Ingmar Bergman. Icône du septième art et du patrimoine suédois, le cinéaste aura accouché de plus de cinquante films, sans compter les pièces de théâtre et autres œuvres télévisuelles au cours de sa carrière. Bien évidemment un monstre aussi sacré a déjà fait l’objet de nombreuses études, ouvrages et documentaires bien sûr. A commencer par Jane Magnusson elle-même qui a consacré deux documentaires au metteur en scène pour la télévision suédoise.

Mais pour l’occasion du centenaire du bonhomme, elle revient sur son parcours avec un regard inédit, évitant au passage toute hagiographie, exposant à nu le réalisateur comme lui-même le faisait à travers ses œuvres. Dans cette volonté d’adopter une approche différente, Jane Magnusson articule son documentaire autour de l’année 1957, année charnière dans la carrière du cinéaste. Année prépondérante d’abord de par la profusion d’œuvres accouchées cette année-là : deux long-métrages, une pièce radiophonique, deux pièces de théâtre, un téléfilm. Année décisive surtout car elle voit l’envol du réalisateur après qu’il ait reçu un florilège d’éloges, du public et des critiques, pour Le septième sceau, conte eschatologique moderne avant-gardiste.

Usant d’un montage judicieux, Jane Magnusson s’efforce alors de raccorder les différents moments clés de la vie du suédois avec les éléments concomitants de l’année 1957. Elle conte ainsi les différents aspects et obsessions du metteur en scène sans fard ni compromis.

Pèle mêle, elle évoque ses relations amoureuses et familiales tumultueuses, ses rapports amour-haine avec l’institut culturel suédois, l’odeur de soufre imprégnant sa filmographie et bien entendu l’aspect thérapeutique de son œuvre.

C’est alors que la véritable force de ce documentaire transparaît à l’écran. Il n’est nullement question de louer une fois de plus Persona, Fanny et Alexandre ou le Septième sceau. Il s’agit plutôt ici de percevoir toute la fragilité de l’homme, car oui il en était bien un au-delà de la vache sacrée qu’l était interdit d’égratigner. Puisque faire des films est pour beaucoup un exutoire et constitue une thérapie coûteuse, alors pour Bergman c’était concilier une certaine maîtrise du septième art avec toutes les faces sombres de son existence. Bergman ne cachait rien à travers ses films, ni le calvaire qu’il endurait et encore moins celui qu’il faisait endurer aux autres. Cette sincérité couplée à un voyeurisme renvoyait déjà à un cinéma à fleur de peau qui transpire par les pores de certains auteurs contemporains de Haneke à Lynch. En ignorant rien et en montrant tout, Magnusson rend sans doute le plus bel hommage à l’auteur des Fraises sauvages, appliquant par là même cette forme de communication qui était son apanage.

Bien avant les réseaux sociaux, Ingmar Bergman exposait ses états d’âme publiquement non sans faire preuve de maîtrise de son art. En parvenant à transmettre ces velléités intelligemment, Jane Magnusson signe un récit avisé et précieux comme les témoignages qui parsèment son documentaire.

Documentaire de Jane Magnusson. Durée 1h56. Sortie le 26 septembre 2018.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture