The silent voice

 Parle avec elle

Nishimiya voudrait ressembler à une élève japonaise comme les autres, se montrant studieuse mais également douée d’une infinie douceur. Pourtant la jeune fille peine à s’intégrer en raison de sa surdité et devient l’objet des attaques incessantes de ses camarades, en particulier d’Ishida, garçon incompréhensif et brutal. Pourtant ce dernier finit par devenir victime à son tour en raison de son comportement passé. Il décide alors de changer, d’apprendre la langue des signes et se lance à la recherche de celle qu’il avait autrefois persécuté.

Certes le film d’animation japonais connaît ces dernières années une crise économique et voit ses budgets se déliter lentement. Certes les grands maîtres du passé ne sont plus pour certains (Takahata, Satoshi Kon), tournent dans un quasi anonymat (Oshii, Otomo) ou se dirigent vers la retraite (Mysasaki). Pourtant, le genre ne perd point au fil du temps, ni sa forte identité, ni sa qualité expressionniste et encore moins sa maturité. La preuve avec des œuvres telles que Your name, Dans un recoin de ce monde et aujourd’hui The silent voice.

Adapter la série de mangas de Yoshitoki Noima en un seul long-métrage s’apparentait comme une énorme prise de risque tant les raccourcis et ellipses abonderaient lors d’une telle entreprise Pourtant en près de deux heures trente, Naoko Yamada va relever le défi et de quelle manière.

A l’heure du mouvement « me too », The silent voice interroge, émeut, désarçonne tantôt par un lyrisme exacerbé, tantôt par des non-dits et une retenue toute nippone. La première scène éloquente de désespoir reflète toute la poésie chaotique à venir. On y voit un adolescent prêt à faire le « grand saut » après avoir accompli ce qu’il estimait juste de faire avant de partir…

Au sein d’une société où le respectable l’emporte sur l’humain et où l’honneur l’emporte sur les sentiments, il n’est point aisé de comprendre les différences de tout à chacun, et un quelconque handicap peut à jamais changer votre destin. A l’intérieur du microcosme scolaire, The silent voice expose des enjeux simples et pourtant si élevés. La cruauté gratuite d’Ishida contraste merveilleusement avec la passivité candide de Nishimiya. Mais quand l’effet boomerang s’applique à son attitude détestable, c’est tout l’envers d’un décor amer et solitaire qui lui est renvoyé. Commence alors une quête de rachat bien singulière à même de l’ouvrir sur le monde et sur les autres.

Si l’animation en est elle-même n’atteint point le zénith des temps passés, en revanche, le film regorge de trésors de mise en scène, hérités aussi bien de l’œuvre originale que des choix des prises de vue de la cinéaste. Ainsi le spectateur ne peut être que surpris lorsqu’il découvre pour la première fois les yeux des lycéens barrés d’une croix, pour mieux isoler Ishida.

Car, nul doute à avoir dans la démarche de Naoko Yamada avec The silent voice. Plus qu’un film sur le harcèlement, le long métrage se présente comme un grand exposé sur la communication, la peur de soi durant l’adolescence et les rapports avec autrui. Cette obsession bien japonaise sur l’incapacité à s’exprimer et à évoluer en société devient bel et bien le cœur du sujet de The silent voice. Le mutisme qui frappe la protagoniste devient alors l’allégorie des maux qui frappent un monde que ni les réseaux sociaux, ou bien les téléphones cellulaires n’ont réussi à véritablement ouvrir. Tisser des liens se révèle une gageure, et en définir la nature, un mystère bien plus grand que l’univers. Toute la question réside dans la possibilité du petit groupe qui ne tardera pas à se former de parvenir coûte que coûte à briser le mur du silence et a fortiori les codes sociétaux, la rigidité formelle de la conduite à adopter face à son environnement. Toute la leçon enseignée par Naoko Yamada provient dans le postulat simple et éternel que la chaleur d’un foyer mais également d’un tissu amical est à même de venir à bout des singularités qui opposent les uns et des erreurs qui accablent les autres. Ce discours quelque peu naïf ne trouverait point d’écho sans cette sensibilité à fleur de peau qui émane à chaque plan, quitte à trop en faire.

Si Yamada n’accouche point d’un chef d’œuvre, elle délivre cependant une ode non pas à la différence comme ce que pourrait supposer les premières minutes mais bel et bien à ce qui rattache les hommes les uns aux autres, à cette volonté de résoudre la sempiternelle équation des rapports entretenus au quotidien, à l’ingénuité d’un amour adolescent qu’il est si difficile d’exprimer.

Film d’animation japonais de Naoko Yamada avec les voix de Miyu Irino, Saori Hayami, Aoi Yuki. Durée 2h12. Sortie le 22 août 2018.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture