C’était Michel, témoignage intime

 

Rocard : un sujet d’histoire

On se permettra ici de dire « je » pour une fois : apprendre la mort de Rocard en juillet 2016 à l’étranger fut un choc. Les rumeurs sur sa maladie circulaient ici et là mais l’homme avait gardé sa vivacité intellectuelle, sa sagacité. Et il écrivait, réfléchissait sur le monde au soir de sa vie, lui le social-démocrate, un des meilleurs premiers ministres de l’histoire de la cinquième République, le pacificateur qui avait su empêcher une dernière guerre coloniale à l’autre bout du Pacifique, sur l’écologie, la préservation des pôles, la financiarisation de l’économie… Sa mort fut un choc, la fin d’une époque, la fin aussi d’une certaine gauche. Deux ans plus tard, sa dernière épouse, Sylvie Rocard, a décidé de lui consacrer un livre. Le parcours de Sylvie Rocard est assez impressionnant : aujourd’hui membre du conseil d’administration de la Fondation Brigitte Bardot, elle a été aussi directrice générale de La Géode, consultante pour de grands projets culturels, conseillère enfin jusqu’en 2003 du président de La Poste, dont elle a créé la Fondation. Pour ce livre, elle s’est associée à une journaliste, Sylvie Santini, ex-grand reporter à Paris Match, qui a déjà publié Michel Rocard, un certain regret (éd. Stock, 2005), un ouvrage qui l’a familiarisée avec l’univers de l’ancien héros de la Deuxième gauche.

 

Portrait intime

Ici, on est dans le registre du tendre : on y apprend comment ils se sont rencontrés, comment la future madame Rocard s’est accommodée (au début) de la présence d’une autre femme. Et oui, Rocard était connu aussi dans Paris comme un séducteur (voir Sexus Politicus). Sylvie Rocard, femme du centre droit, a eu une vraie passion pour cet homme qu’on découvre très attachant, assez drôle mais en déplacement permanent. Rocard, globe-trotter ! toujours sur la brèche, dans un avion, un jour à Taïwan et le lendemain en Iran. Le monde le passionne, l’enivre. La politique, bien sûr, ne le quitte jamais. On y découvre un repas dans les années 2000 avec le jeune Macron, admirateur de l’ancien Premier ministre. Rocard, qui ne s’est jamais remis de sa défaite aux Européennes de 1994 (merci à Mitterrand, grand Volpone devant l’éternel, pour ce coup d’archet qui a remplacé à la tête de la gauche Rocard par Jospin, la France y a gagné…), se laisse séduire par ce jeune haut fonctionnaire, actuel président qui pourtant n’a rien retenu de lui. Les (grands) hommes ont aussi leurs faiblesses. Et aussi leurs qualités : accepter les animaux et vivre avec eux pour l’amour d’une femme, ma foi, c’est toujours mieux que d’avoir eu René Bousquet comme compagnon de banquet.

 

2007…

Beaucoup vont jaser sur une des révélations du livre : Rocard a bien essayé de manœuvrer pour remplacer Ségolène Royal, dont la déconfiture était annoncée (voire prévisible), lors de l’élection présidentielle de 2007. Il y a de l’ego, jamais remis de sa défaite de 1994 mais aussi du « désintérêt » marqué de la candidate de l’époque pour lui (rappelons qu’elle avait pris Chevènement comme conseiller, l’ennemi historique de Rocard). Elle lui confia une mission sur le numérique et il lui demanda à un moment de lui céder sa place… Petit ? Certes. Mais Royal ne laissera rien comme trace dans l’histoire, contrairement à Rocard qui a su éviter la guerre civile en Nouvelle-Calédonie (à l’instar de son « père » Mendès-France qui sut éviter la guerre en Tunisie et qui aurait, à mon avis, bien mieux su gérer la guerre en Algérie qu’un Guy Mollet). Sylvie Rocard prête à sa fille un jugement sur son mari : il était mieux fait pour l’exercice du pouvoir que pour sa conquête. Je valide ce jugement et je regrette pour mon pays que des hommes comme lui, malgré des désaccords, n’aient jamais pu gouverner pleinement. Un témoignage intéressant. Et au fait, salut Michel ! tu le mérites.

 

 

Sylvain Bonnet

Sylvie Rocard (avec Sylvie Santini), C’était Michel, Plon, octobre 2018, 224 pages, 19,90 €

About Sylvain Bonnet

Spécialiste en romans noirs et ouvrages d'Histoire, auteur de nouvelles et collaborateur de Boojum et ActuSF.