Mort de Stan Lee

Le cœur des super-héros a cessé de battre.

 

Il est toujours délicat voire putassier de classer par ordre d’importance tel ou tel artiste parmi ses confrères. Ici, en Europe où pendant de nombreuses années l’intelligentsia n’avait d’yeux que pour les auteurs franco belges, critiques et public ne comprenaient pas toujours l’attrait de certains lecteurs pour des productions outre atlantique ou d’extrême orient. Pourtant, avec la croissance de plus en plus forte de la pop culture, il a bien fallu reconnaître le talent, certains diront le génie des Osamu Tesuka, Alan Moore, Frank Miller, Jack Kirby, Bob Kane et bien sûr Stan Lee aux côtés des Hergé, Franquin ou Goscinny.

Stan Lee était jusqu’à ce jour funeste le dernier encore en vie parmi les auteurs les plus anciens cités plus haut ( Miller et Moore étant beaucoup plus jeunes). Que de chemin parcouru depuis ses premiers écrits dans ce qui deviendra l’une des plus grandes firmes de bande-dessinée au monde aux productions cinématographiques qui crèvent l’écran depuis quelques années.

Certes Stan Lee n’avait pas le trait de Will Eisner, la plume de Moore, le génie humaniste de Tesuka et n’était point le créateur du phénomène mondial qu’est le super-héros aujourd’hui. Pourtant, il possédait cette trempe et cette vision qui démarque un homme parmi les siens. L’adage veut que pour marquer son époque, un artiste, un savant ou un sportif se doit être en avance sur son temps.

Stan Lee symbolisait merveilleusement bien cet adage. A l’instar de Schuster et Siegel (les auteurs de Superman), il allait former avec Jack Kirby puis Steve Ditko des duos de légende, de ceux qui font avancer leur art. L’alchimie scénariste-dessinateur si chère aux comic-books est d’autant plus incarnée par le tandem Lee Kirby que par les créateurs de Superman. Certes, ils ne furent pas les premiers à façonner le genre. En revanche, le media leur doit tout simplement le passage à l’âge adulte et à Stan Lee, une réelle personnification.

Aujourd’hui, le large public retient et retiendra surtout ses créations : Fantastic Four, Hulk, Spider-Man, X-men. Pourtant seuls les connaisseurs s’épancheront sur un élément déterminant de son œuvre qui prévaut sur tous les personnages qu’il aura créés. Stan Lee fut celui qui s’évertueraà rendre humain les demi-dieux et surhommes de papier dont il écrivait les aventures. L’aspect soap opera du comic book, la volonté de tous ceux qui suivront de conter non seulement leurs exploits mais aussi leur quotidien, fait de déboires, de petites joies, de succès et d’échecs, c’est à lui qu’on le doit. Et par là même le succès du media. Ce n’est que par le biais de ce procédé que le lectorat réussit à s’identifier pleinement aux héros dont il suivait les aventures, Peter Parker/Spider-Man en tête. En démultipliant les intrigues et en offrant un autre degré de lecture que sauver le monde ou combattre un énième adversaire, Stan Lee emmena le comic book vers la maturité.

Certes par la suite Stan Lee devint plus homme d’affaires qu’autre chose, sorte d’emblème vivante dépositaire d’une marque, d’un concept. Pourtant, son aura demeurait inaltérable, bien que ses travaux se firent plus rares.

Au-delà des films, c’est tout un pan de l’imaginaire populaire que l’on doit à Stan Lee. Nul ne doute par exemple que Darth Vader devait beaucoup par exemple au Doctor Doom… Oui, l’importance de Stan Lee au sein de la culture populaire contemporaine a dépassé depuis bien longtemps les frontières de la bande-dessinée. Il va sans dire que sa notoriété et sa prépondérance égalait George Lucas ou Steven Spielberg par exemple. Au regard des productions de Marvel Comics ces dernières années, il est compliqué d’imaginer Stan Lee approuver la perte de qualité au sein des titres. Malgré tout, même si le renouveau se fait attendre, il faudra bien qu’il arrive un jour, espérons-le…

Car si tout n’est une histoire de cycle dans les comics books comme dans la réalité et que tout n’est que mort et résurrection espérons que ce sera le cas après cette perte tragique. Le comic book a accouché de morts déchirantes ; Flash, Supergirl, Captain Marvel, Gwen Stacy, Phenix ou encore Superman…pour mieux faire renaître titres et personnages par la suite.

Si rien ne ramènera Stan Lee parmi ses pairs, espérons que ces derniers honoreront sa mémoire en revitalisant l’œuvre d’une vie et en la faisant avancer comme lui l’avait fait il y a déjà plus de cinquante ans.

Un pionnier s’en est allé. A ceux qui restent de suivre ses traces et de continuer à explorer ces mondes extraordinaires de l’imaginaire qu’il aura su mieux que personne édifier, tel un démiurge d’un autre temps.

 

 

 

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture