Un historien face à son sujet
Cette biographie de Pierre Laval, l’un des dirigeants les plus emblématiques du sinistre régime de Vichy, est loin d’être la première : elle vient après celles de Fred Kupferman (Masson, 1976 et Balland, 1987) et de Jean-Paul Cointet (Fayard, 1993) qui ont fait date. L’auteur n’en est pas à son premier coup d’essai : Renaud Meltz a déjà sorti une biographie de Saint-John Perse, alias Alexis Léger, inamovible secrétaire général du Quai d’Orsay dans les années 30. Tout naturellement, il en venu à travailler sur un de ses patrons, Pierre Laval. Que nous apporte de plus Meltz par rapport à ses illustres prédécesseurs ?
Un enfant de la IIIe République
Il s’agit ici de revenir aux origines de Pierre Laval, un peu négligées par Kupferman et Cointet. D’origine auvergnate, le jeune Pierre naît dans une famille en pleine ascension sociale. Intelligent, croyant en sa bonne étoile, il persuade ses parents de financer ses études. Il passe son bac, fait son droit tout en étant pion, croisant d’ailleurs un jeune agrégé nommé Edouard Herriot, un de ses futurs rivaux. Devenu avocat, Laval se fait remarquer par ses talents oratoires et sa laideur. Attaché au peuple, il rejoint la SFIO et devient député en 1914. Peu porté aux idées, il fait partie de l’aile gauche du parti, pacifiste. Il se fait remarquer cependant par sa souplesse, son influence sur ses collègues, ses talents oratoires. Repéré par Mandel et Clemenceau, il joue un rôle dans l’accès au pouvoir du Tigre en 1917 qui lui propose un poste de secrétaire d’Etat. Laval obéit à son parti et refuse : c’est la dernière fois.
Affairiste et homme politique
Après-guerre, il est battu aux élections de 1919 et se concentre sur ses activités d’avocat. Il fait fortune en représentant tous les profiteurs de guerre face au fisc, négociant pour leur compte les amendes qu’ils doivent verser à l’Etat. Sans compter les banques qu’il représente et qui l’intéressent sur différents placements : on parlerait aujourd’hui de délits d’initié. Laval devient riche, très riche, investit dans la presse. Il s’éloigne peu à peu de la gauche : élu en 1924 sur une liste du cartel des gauches, il se rapproche ensuite du centre, devient sénateur et flirte avec la droite. Persuadé de ses talents, il occupe différents postes de ministre, négocie une loi d’assurances sociales plutôt pionnière en 1930. Pour le reste, c’est le roi de l’intrigue, se servant de Tardieu pour neutraliser Aristide Briand dont il se dit le disciple. Il l’humiliera pourtant en 1931 en payant des ligues d’extrême-droite pour aller torpiller un discours du pèlerin de la paix dans un colloque fédéraliste…
L’échec d’un président du conseil
Laval bénéficie de l’effacement progressif de Tardieu, du morcellement politique et aussi de la nullité politique des radicaux, Daladier et Herriot en tête, se faisant élire avec la gauche et gouvernant ensuite avec la droite… Après un premier passage à la présidence du conseil en 1931, il bénéficie de l’échec de Doumergue et ravit Matignon à Pierre-Etienne Flandin en 1935. Si Laval est un subtil tacticien, il se révèle piètre politique : sa politique déflationniste aggrave la situation de l’économie française. Plus grave : se croyant comme en Auvergne face à des maquignons, il croit jouer au plus malin en politique étrangère. Son approche des relations internationales se fonde uniquement sur la psychologie et le tête à tête, négligeant délibérément la géopolitique et l’idéologie. Et voici Laval qui tente de s’allier à l’Italie fasciste mais échoue à empêcher Mussolini d’envahir l’Ethiopie. Il tente de jouer les « go between » entre italiens et britanniques mais ne réussit qu’à s’aliéner les deux parties. Face à l’Allemagne, il reste persuadé d’arriver à un arrangement. Il est renversé en janvier 1936. Le front populaire anéantit ses chances de revenir rapidement au pouvoir.
La défaite et Vichy
Laval a depuis longtemps déserté la gauche. Mais arrive durant les années 30 un curieux phénomène. Ce pur produit de la méritocratie républicaine et laïque ne croit plus en la République qui l’a nourri et se laisse piéger petit à petit par l’attraction magnétique exercée par le fascisme italien et le nazisme allemand, sans d’ailleurs qu’il en devine la portée idéologique. Cela renforce son pacifisme face à la montée des périls, ses plaidoyers pro-italiens (alors que Mussolini ne veut plus rien avoir à faire avec lui) et son rejet du front populaire. S’il n’y a pas eu de complot entre lui et Pétain, les deux hommes échangent, grâce en particulier à René de Chambrun, gendre de Laval. Quand la guerre éclate, Laval explose de colère face à Daladier, l’accusant d’avoir du sang sur les mains. Cela ne l’empêchera pas de se prêter, comme le raconte bien Renaud Meltz, à une combinaison parlementaire avec « le taureau du Vaucluse » pour renverser Reynaud au printemps 1940. La débâcle de mai-juin rebat les cartes. Laval soutient Pétain et l’armistice et offre au vieux Maréchal les pleins pouvoirs (et l’abolition de la République) le 10 juillet 1940. Laval pêche cependant par excès de confiance en soi : le 13 décembre, l’inventeur de la collaboration est arrêté et ne doit sa libération qu’aux allemands. Il ronge ensuite son frein…
Le choix de l’Allemagne nazie
Laval revient au pouvoir en avril 1942, malgré des avertissements de Goering qui lui annonce qu’il a tout à perdre s’il reprend sa place. De toute façon, Laval a depuis longtemps brûlé ses vaisseaux mais sa phrase « je souhaite la victoire de l’Allemagne » scelle son destin. Sa trop grande confiance en lui-même et en ses talents (« je suis sorcier, je suis né coiffé ») l’empêche de voir clair. Pierre Laval avance cahin-caha, résolu dans le choix de la collaboration mais il est comme Christophe Colomb qui ne sait pas qu’il a découvert l’Amérique : Laval ne se doute pas qu’il est devenu l’esclave d’un régime génocidaire auquel il prête une main prudente mais sûre. En 1942, il croit sauver les juifs français et livre les juifs étrangers… On peut le créditer après 1943 d’avoir résisté à certaines exigences allemandes mais cela ne fait que souligner ses abandons antérieurs. Et quid du STO, où il livre des travailleurs français à Sauckel, avant de résister à la fin 43 ? Tout est marchandable avec Laval, tout se négocie. Cet homme, qui n’était pas un idéologue fasciste ou antisémite, voit désormais son nom honni, haï du peuple dont il se prétend encore le représentant. Ses ultimes manœuvres, avant son départ pour l’Allemagne, en août 1944 pour ranimer la république face à de Gaulle, en se servant d’Herriot (qui faillit se prêter à la manoeuvre), sont pathétiques.
Utilisant des sources jusqu’ici ignorées, Romain Meltz réussit à mieux nous faire connaître ce personnage dont demeuraient bien des zones d’ombre. Il nous dépeint un politique cynique, sans colonne vertébrale idéologique, ambitieux et véritable drogué du pouvoir. Laval est aussi un prototype politique, tant on retrouve en lui des traits de politiciens ultérieurs, comme Edgar Faure ou… François Mitterrand. Cette biographie fera date.
Sylvain Bonnet
Renaud Meltz, Pierre Laval un mystère français, Perrin, octobre 2018, 1248 pages, 35 €