Deux hommes et une femme
Au hasard d’une exposition, Asako rencontre Baku. Ils s’éprennent presque instantanément l’un de l’autre. Quelques temps plus tard, Baku s’en va. Asako poursuit sa vie à Tokyo. Elle fait alors la connaissance de Ryohei qui ressemble trait pour trait à son amour perdu…
Il est parfois difficile de ne pas sourire en voyant Asako I & II tant le nouveau film du réalisateur de Senses tient par moments du mélodrame à court d’inspiration. Pris entre les atermoiements de son héroïne et les contours d’un sempiternel triangle amoureux, le long-métrage d’Hamaguchi pourra paraître à bout de souffle pour un large public. Pourtant, si le spectateur passe outre ces faux accords de surface, il sera vite surpris par la finesse du metteur en scène nippon. Certes il parle encore d’un être déchiré, Asako, partagée entre un amour raisonnable et un amour passionné. Postulat classique me direz-vous, mais principe utilisé avec maestria par James Gray il y a quelques années sur Two Lovers.
Ici, Hamaguchi va s’approprier les doubles hitchcockiens pour non seulement traiter ledit postulat mais également servir de support à son portrait de la femme japonaise, qu’il avait déjà esquissé avec brio dans son premier long-métrage.
Dès les premiers instants, le réalisateur va distiller les pièces de cette Comédie humaine de façon abrupte, insensée, comme pour faire écho à la passion qui unit Baku et Asako. Quelques jeux de regards au détour des allées d’une exposition. Puis un feu d’artifice en toile de fond pour un premier baiser presque arraché par Baku, fort de son magnétisme quasi animal. Son emprise commence alors. Lorsqu’il disparaît comme Jun dans Senses, les cartes ne vont pas être redistribuées. Asako va alors elle aussi s’éloigner de ceux qu’elle aime pour mieux renaître.
Le début alors d’une longue quête introspective pour la protagoniste, tiraillée entre ses deux amants, l’aventure et la stabilité, la justice et la cruauté. Si Hamaguchi appuie sur le relatif égoïsme d’Asako, c’est pour mieux souligner les traits d’une société où la femme peine toujours à acquérir indépendance et respect. Les valeurs honorables prévalent sur le bonheur et l’accomplissement personnel, encore plus pour les femmes. Ainsi le metteur en scène appuie discrètement mais intelligemment sur ces points douloureux, quand Asako se doit de demander à Ryohei l’autorisation de travailler ou encore lorsqu’un vieil ami lui déconseille de rentrer car sa vertu a été éprouvé. D’ailleurs, la relation entre Baku et Asako représente l’archétype quelque peu caricatural certes, des couples au Japon où la femme n’a que peu à dire et se doit d’obéir, bien qu’ici l’attraction a remplacé la puissance des convenances.
Mais la force du récit d’Hamaguchi puise bien évidemment ses racines dans son traitement des doubles et faux semblants quand il oppose Ryohei à Baku. Pourtant, contrairement à Vertigo auquel certains ont comparé le film, Hamaguchi joue très peu le jeu de l’ambiguïté, écartant dès la première rencontre entre Ryohei et Asako une éventuelle confusion. Si chacun d’entre eux vient de la même région c’est pour mieux attirer le chaland sur un jeu de fausses pistes où il s’amuserait à croire que les deux amants ne font qu’un. Non la seule chose qui importe, c’est la recherche obsessionnelle d’Asako de son idylle passée, retrouver les mêmes fondements qui l’ont amené à aimer Baku dans sa nouvelle relation, au delà du spectre des apparences. S’ils partagent le même visage, la même grâce, Ryohei et Baku divergent à la fois par leur personnalité mais également par leur attitude vis-à-vis d’Asako. Cette dernière va ainsi vouloir reproduire ce qui les a reprochés, en quête d’un sentiment d’absolu qu’elle pense ne plus connaître. Il y a l’exposition bien sûr. Mais surtout ces deux scènes de baiser où filmer escarpins et chaussures de ville par la suite n’a rien d’anecdotique. Des plans jumeaux comme les protagonistes qui font passer le long métrage d’Hamaguchi dans une autre dimension, en quelques secondes.
Exercice de style maladroit par instants, gracile la plupart du temps, féroce constamment, Asako I et II passe à l’image de ses personnages du rire aux larmes en un instant, de l’hommage appuyé aux scènes de la vie ordinaire, de la passion à la raison. Œuvre pudique douée cependant d’une incroyable intensité, Asako I et II est un film bicéphale à l’instar de sa protagoniste mi ingénue mi perverse, mais femme fascinante à l’évidence.
Film japonais de Ryusuke Hamaguchi avec Masahiro Higashide, Erika Karata, Koji Seto. Durée 1h59. Sortie le 2 janvier 2019