Un sujet brûlant
Auteur du Passé d’une discorde (Perrin, 1999) et d’histoire des juifs (Perrin, 2013), orientaliste reconnu, Michel Abitbol a ici choisi de donner une histoire d’Israël, sortie chez Perrin au printemps 2018. Voici un sujet sensible dans nos belles contrées européennes, l’Etat juif étant devenu une espèce de diable pour la gauche et l’ultragauche. On voit ainsi des manifestation rassembler nombre de figures de l’extrême-gauche en compagnie de militants islamistes… Le livre d’Abitbol est une occasion de revenir aux sources de cette histoire.
Le sionisme, remède à l’antisémitisme ?
Si la Terre sainte intéressa nombre de mécènes juifs au dix-neuvième siècle (dont les Rothschild), c’est le journaliste Herzl qui lança l’idée du sionisme devant les manifestations d’antisémitisme en Europe, tant en Autriche que dans la France républicaine déchirée par l’affaire Dreyfus. Il lança l’idée d’un Etat Juif conçu pour accueillir les juifs d’Europe. Une fois l’Ouganda et l’Argentine écartées, restait donc la Palestine, majoritairement peuplée d’arabes musulmans et où subsistait une petite communauté juive. Les achats de terres commencèrent mais sans la déclaration Balfour (où perce d’ailleurs l’antisémitisme, l’anglais Balfour espérant ainsi attirer aux alliés les capitaux juifs américains), on peut dire que le Yishouv, le foyer national juif, n’aurait pas pu s’épanouir…
Le mandat britannique
Après la défaite ottomane, les britanniques héritèrent de la Palestine via un mandat de la SDN. Rares furent les sujets de sa majesté à comprendre le sionisme et les premiers « sabras » : un homme comme Orde Wingate, qui compta beaucoup dans la formation de Moshe Dayan, est une exception. Si l’immigration juive s’intensifia, si les achats de terres progressèrent, les Arabes devinrent de plus en plus hostiles au sionisme. Et les anglais, habitués pourtant à diviser pour régner, eurent de plus en plus de mal à gérer la Palestine. La deuxième guerre mondiale amena les dirigeants du Yishouv à soutenir sans conditions le Royaume-Uni. La Shoah changea cependant les termes de l’équation : il faudrait compter pour le peuplement du futur Etat sur les juifs orientaux…
Fractures israéliennes
On trouve dans cet ouvrage des pages remarquables sur l’antagonisme ashkénaze/séfarades (ou orientaux) qui continue de marquer la société israélienne. Les élites ashkénazes sont occidentales, laïques et travaillistes : elles ont longtemps eu tendance à mépriser les juifs « orientaux », venus du Maghreb ou du Levant (Irak, Iran, Egypte). Les enfants séfarades avaient moins de chances d’ascension sociales que des petits ashkénazes. Les choses ont eu tendance à s’améliorer mais expliquent la victoire électorale de Begin en 1977 ainsi que la violence des affrontements droite/gauche. Pour autant, une autre fracture existe, entre juifs et arabes, ceux qui sont restés après la guerre d’indépendance de 1948. Elle a contribué à alimenter les tensions, incandescentes ces dernières années.
Quelle paix ?
Michel Abitbol raconte avec beaucoup de clarté le drame de ces trente dernières années, cette paix impossible entre deux nationalismes, l’israélien et le palestinien. Ce dernier étant de surcroit de plus en en plus contaminé par la rhétorique islamiste (ce que ne veulent pas voir nombres de ténors de gauche en Europe, à l’instar de Jeremy Corbin en Grande-Bretagne ou de Clémentine Autain chez nous). Les responsabilités dans l’échec du processus d’Oslo sont pour le moins partagés, Arafat n’ayant pas su s’élever à la hauteur d’un Sadate (qui, dans sa jeunesse, fut pourtant fasciné par l’Allemagne nazie) et Ehud Barak ayant révélé quant à lui ses limites (d’un baudet on ne fait pas un cheval de course). Reste qu’une solution à deux Etats reste la seule possible pour les deux parties sinon quoi ? Un état binational qui ne ferait que gérer une guerre civile permanente ?
Israël est né d’un miracle, on espère que ce pays ne sombrera pas dans le cauchemar.
Sylvain Bonnet
Michel Abitbol, Histoire d’Israël, Perrin, avril 2018, 868 pages, 30 €