L’héritage des 500000

Voyage au bout de l’enfer

Commandant au sein de l’armée japonaise durant la Seconde Guerre Mondiale, Matsuo a enseveli aux Philippines plusieurs milliers de pièces d’or avant le retrait des forces nippones du pays. Près de vingt ans après, un riche homme d’affaires le contraint à retourner chercher ce fabuleux trésor flanqué de quatre compagnons peu recommandables. Le début d’une épopée qui le mènera au bord du gouffre…

Pour un large public, Toshirô Mifune reste et restera dans l’Histoire du cinéma le visage du cinéma nippon, icône immuable notamment d’Akira Kurosawa, interprète inoubliable des Sept samouraïs ou encore de Rashômon. En revanche, fait méconnu, il fut également le réalisateur d’un seul film resté invisible pendant plus d’un demi-siècle en Europe, l’Héritage des 500000. Sa sortie en version restaurée constitue une occasion unique de découvrir ce trésor oublié.

Les acteurs devenus réalisateurs sont légions dans le cinéma de même que les auteurs d’un seul long-métrage. En revanche les acteurs metteur en scène d’œuvres uniques ayant marqué leur époque voire l’Histoire sont rarissimes. On pense évidemment d’emblée à Charles Laughton et à son légendaire La nuit du chasseur. Si l’Héritage des 500000 n’entre pas dans la même catégorie, il aura eu le mérite de présenter une aventure trépidante, marchant sur les traces de Clouzot et du Salaire de la peur mais également d’ouvrir la route à Werner Herzog, Francis Ford Coppola ou encore à James Gray, exposant un périple où les menaces environnementales n’auront d’égales que les démons intérieurs qui hantent les protagonistes.

Les spectres de ceux tombés au combat sont en partie au centre des préoccupations du long-métrage de Mifune. Parler de cette période et d’une défaite cuisante revient toujours à remémorer le déshonneur d’un pays si attaché à cette notion. Pourtant, son comportement durant ce temps tragique n’avait lui rien d’honorable. Planter ainsi le décor de son œuvre sur des cendres encore chaudes relevaient autant de la gageure que du courage pour le cinéaste d’un jour. Surtout, le film fait écho aux légendes urbaines que bon nombre de trésors de guerre japonais attendent d’être retrouvés encore par les aventuriers de tout poil.

C’est dans cette perspective double entre passé trouble et quête insensée que Mifune inscrit les enjeux à venir. A commencer par Masuo, homme aux valeurs désuètes poursuivi par les ombres d’un conflit qui a vu choir ceux qui l’accompagnaient. A l’image de son pays, il réfute ce qu’il fut, ce qu’il a commis, et a enfoui profondément les horreurs commises dans son esprit comme il l’a fait avec l’or de l’Etat. Lorsque Gunji l’incite à retrouver à la fois les terres qui ont fait en partie sa grandeur et le trésor qu’il a laissé derrière lui par la même occasion, la tentation de l’aventure ne l’attire point.

Pour lui et ses geôliers assoiffés par l’appât du gain devenus compagnons d’infortune, cette quête les conduira aux confins de la folie. Folie bicéphale ici, issue aussi bien de l’attrait d’un or sale que des souvenirs d’un conflit perdu où les âmes des défunts les précèdent à chaque pas.

Chaque avancée, chaque décision se fait au diapason des cris et hurlements d’un champ de bataille révolu et pourtant si proche. Si la nature est moins hostile que dans Aguirre ou la colère de Dieu ou encore Lost city of Z, en revanche les cadavres encore frais éprouvent à chaque enjambée ces aventuriers amateurs.

Pourtant, l’influence de Kurosawa se fait sentir quand point progressivement le retour aux valeurs humanistes qui faisaient l’apanage du maître nippon. Ici son élève retient la leçon et la récite avec finesse mais également avec encore plus de cruauté que son aîné. Si chaque protagoniste s’ouvre au changement au cours de leur périple, ils n’en ressortent point indemnes et encore moins innocents.

Pépite injustement oubliée, l’héritage des 500000 prend à contre-courant toute fable pacifiste en exaltant ceux qui sont tombés pour une guerre injuste. Pourtant, cette épopée incitée par de bas et vils instincts fait grandir par moments ceux là même qui bafouent tout principe et toute vertu. Histoire au caractère terriblement humain et humanisant, le long métrage de Mifune suit les traces de Kurosawa tout en s’en écartant lors d’un final qui rappelle que pour certains la guerre n’est pas finie et qu’elle fait tomber ceux qui sont devenus justes au fil du temps.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture