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Body Snatchers

Adeline Wilson revient à Santa Cruz pour y passer avec sa famille des vacances de rêve. Pourtant, enfant, elle y a subit un traumatisme inexpliqué. Un soir, l’horreur les frappe quand leurs doubles s’en prennent à eux. Le début d’une lutte pour la survie…

Les plus anciens ou les plus férus de cinéma de genre se souviennent peut être de l’ultime scène glaçante de Prince des ténèbres de John Carpenter. Pour retrouver son amour perdu dans les enfers, un homme effleure la surface d’un miroir, passage vers une autre dimension. John Carpenter explorait alors les dualités d’un terrain inconnu où notre propre visage prenait une autre forme. Tels les body snatchers de Don Siegel, l’ennemi c’était nous, âmes éperdues si chères au fantastique et au film d’horreur traditionnel. Il ne faut pas se méprendre ; pour vaincre des monstres, il est aisé d’en devenir un soi-même. C’est pourquoi bon nombre de films et d’histoires de ce type reflètent littéralement les côtés sombres des protagonistes à l’image du Dr Jekyll et de Mister Hyde, quand la barbarie supplante chaque once d’humanité, de bienséance et de convenance propre à toute civilisation avancée.

Dans cette optique, Jordan Peele, auréolé de son succès critique et public avec Get Out poursuit sa quête introspective d’une société en déliquescence alors qu’elle se veut propre sur elle, partisane d’une conception du bien à l’extrême pour tendre finalement à des excès de violence aussi dramatiques que cruels. Après sa critique d’une hype visant à surmonter la haine raciale ancestrale en la prenant à rebours, le cinéaste revient avec Us. Il  nous parle des doubles et du double comme ses aînés l’ont fait avant lui, apposant au passage un discours politique virulent à l’image de Georges Romero et John Carpenter.

Dès l’exposition, Peele fait monter crescendo la tension usant jusqu’à la corde des miroitements par le biais du nombre onze qui incarne à lui seul cette mécanique. Citant le passage trouble du livre de Jérémie, le metteur en scène va dès lors jeter le doute, écartant dès lors toute preuve tangible du réel. Pour Peele tout n’est que projection dans un miroir quotidien, tandis que les doubles contemplent les faces d’une même pièce, laissés pour compte, pour ce qu’ils sont et ne sont pas. Si pour Ballard, écrivain de science-fiction anglais, la terre était la planète étrangère, pour Jordan Peele, c’est bel et bien le for intérieur de l’homme qu’il ne comprend pas , qui l’intrigue, le dérange. Comment une société aussi éduquée et aisée peut être conduite aux pires atrocités ? Ce n’est plus par dégoût mais par envie, par fascination morbide que les monstres du cinéaste puisent leurs pulsions malsaines, leurs instincts de mort que ce soit cette communauté bourgeoise dans Get Out ou ici ces exclus si familiers.

Comme dans Get Out, chez Peele tout passe et se passe dans le regard ; l’œil inflexible du photographe a laissé place ici à ceux multiples de lapins mais également à des échanges furtifs qui cautionnent l’attention et la surprise, qui plus est si elle témoigne du massacre à venir. Cette obsession du regard n’incarne t’elle pas toute vision de tout cinéaste démiurge, son âme et son arme la plus précieuse ? En faisant de cette obsession le chantre de sa mise en scène, Jordan Peele fait d’un pléonasme à la forme maladroite, une clé précieuse pour comprendre un art, apostrophe malicieuse que l’on est en droit de trouver quelque peu prétentieuse.

Pourtant, en dépit de toutes ces bonnes intentions, et ce une nouvelle fois comme dans Get Out, Peele rate parfois le coche, incapable d’abord de maintenir une cohérence narrative sur la durée totale du long-métrage, peinant à passionner les débats passé une heure trente. En outre, il est incapable de choisir entre la farce ou l’horreur pure, ce qui laisse une impression de bâclage inexistant ou quasi inexistant chez Carpenter par exemple voire chez Bava. Enfin, à force de souligner les enjeux et de répéter sans cesse et ostensiblement les symboliques usitées en lieu et place de s’essayer au hors champ ou à l’ellipse, le réalisateur démystifie de lui-même une œuvre propice à l’indicible ou au mystère. Contrairement à Hitchcock ou à Jacques Tourneur, il néglige considérablement ce point, pourtant essentiel au genre.

Il est certes indéniable que Jordan Peele aime le genre et s’évertue à le démontrer avec Us. Pourtant, sans donner le sentiment de réciter gentiment et de manière impersonnelle une leçon de ses maîtres, Peele s’égosille et s’éparpille dans l’objectif de surpasser ceux qui l’ont précédé. Feu d’artifice sans véritable éclat et brûlot sociopolitique qui se consume trop rapidement, Us appartient à ces contes pour adultes si ce n’est édulcorés du moins vite oubliés…et pour les plus critiques, oubliables.

Film américain de Jordan Peele avec  Lupita Nyngo’o, Winston Duke, Elizabeth Moss. Sortie le 20 mars 2017. Durée 1h56.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture