Liz et l’oiseau bleu

La fille et l’oiseau

Nozomi et Mizore font partie de l’orchestre scolaire et répètent ardemment un solo de Liz et l’oiseau bleu en vue d’une future compétition musicale. Amies quasiment inséparables mais aux caractères diamétralement opposées, elles vont devoir se séparer après la fin du lycée. Une situation qui pèse de plus en plus sur Mizore…

Nul ne doute que les difficultés à communiquer persistent au pays du Soleil Levant et qu’au-delà des attitudes honorables se tapit dans bon nombre de citoyens nippons, un profond malaise, une angoisse réelle et évidente pour s’exprimer en société, y compris et surtout au sein de la sphère privée. Romances, amitiés, liens familiaux se distendent ni par animosité, ni par incompréhension, mais plutôt par absence récurrente de dialogue à cœur ouvert. Cet aspect, le cinéma d’animation l’a relaté ces dernières années notamment avec Your name mais également The Silent Voice déjà réalisé par Naoko Yamada.

Cette dernière revient de nouveau conter une histoire d’adolescentes qui pourrait être la sienne, la nôtre et surtout celle de bon nombre de jeunes gens du pays. Contrairement à The Silent Voice, point de véritable adaptation mais plutôt l’émancipation d’un récit original que la cinéaste va s’efforcer de plier à sa mesure, à ses ambitions, à ses désirs. Si certains pouvaient lui reprocher un copier coller par moments sur Silent Voice et remettre en doute son talent, ce sera impossible ici, tant elle démontre à chaque plan une véritable singularité poétique et un talent mélodramatique certain. Elle prouve de minute en minute une puissance créatrice que l’on n’avait pas vue depuis Satoshi Kon ou Takahata, c’est dire.

Si la vie n’est point un conte de fée tant il est souvent impossible d’échapper à ses lois rigoureuses, celle de nos protagonistes tournent autour d’une passion qui vire très vite à l’obsession quand viennent les jours d’un concours auquel leurs camarades accordent plus d’importance qu’à leur propre bonheur. Si la musique adoucit les mœurs, elle met surtout en exergue le fragile tissu social qui les relie chacune aux autres. Pour Mizore et Nozomi, c’est une façon de justifier leur amitié tandis qu’elles n’arrivent pas à extérioriser leurs sentiments y compris à travers leurs instruments. Jouer alors la fable de Liz et l’oiseau bleu devient plus qu’une métaphore de leur parcours et de ce qui les habite mais bel et bien l’apposition à leur mode de fonctionnement d’un mythe si simple à comprendre, si dur à s’approprier. En juxtaposant réel et imaginaire, conte de fée et conte de la vie ordinaire, Naoko Yamada réalise un tour de force aussi bien en dissociant les univers par leur caractère graphique qu’en les fusionnant par leur fond commun, lorsque les destinées de Liz et l’oiseau bleu rejoignent celles de Nozomi et Mizore.

Pour exprimer des enjeux dans une dynamique temporelle resserrée, Yamada prends un rebours le lyrisme souvent vu et attendu, et fait preuve d’une retenue inattendue, dépourvue de tout sentimentalisme tapageur pour mieux accentuer la pudeur entourant cette amitié si particulière. Le trait et la caméra évolue comme pour The Silent Voice. On filme les pieds plutôt que les visages, pour mieux imaginer les réactions hors champ. Cette optique accentue à la fois l’image aisément identifiable d’une Mizore emboîtant le pas de Nozomi, suivant ses traces mais également le côté ballet, propre à cette atmosphère musicale qui sert aussi bien de prétexte que de contexte. Puis, lorsque la caméra se resserre sur les traits fins de Mizore, ce n’est pas seulement pour afficher sa gêne mais également son incapacité sibylline à se mettre en avant, le regard fuyant comme pour Nishimiya dans The Silent Voice. Pour la réalisatrice le message s’avère limpide, seule compte l’éveil et le réveil d’une adolescente, l’affirmation de son moi quand tombent les masques et que l’oiseau bleu n’est pas celle que l’on croit.

Liz et l’oiseau bleu n’est point seulement le film de la confirmation pour son auteur, il représente surtout le changement de direction radical qu’a pris le média ces dernières années après une terrible période de crise. Obsédée par la léthargie émotionnelle d’un pays, léthargie encore plus ancrée chez des adolescents qui ont cessé d’aimer et de rêver, Naoko Yamada délivre un message brûlant non pas en forme d’avertissement mais plutôt de poème moderne qui doit autant à ses aînés Miyasaki, Takahata, Oshii ou Satoshi Kon qu’à Grimault éternel référent.

Film d’animation japonais de Naoko Yamada avec les voix de Atsumi Tanezaki, Nao Tôyama. Durée 1h30. Sortie le 17 avril 2019.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture