The dead don’t die

Les zombies sont éternels

Centerville, une bourgade comme les autres au cœur des Etats Unis. Tandis que beaucoup s’inquiètent du dérèglement climatique, des phénomènes étranges se multiplient : la nuit tarde à tomber, les animaux s’enfuient les uns après les autres et les morts reviennent à la vie !!!

Si connaître la trace que l’on laissera derrière nous incarne l’une des réflexions courantes, futiles, égocentriques de nos existences, elle personnifie à elle seule l’angoisse métaphysique des personnages chers à Jim Jarmusch, sans jamais verser dans le mélodrame sirupeux. A l’image d’un Bill Murray, amant perdu dans sa traversée du désert et rendu à l’éternité lors de la dernière scène de Broken Flowers, les héros de Jarmusch parcourent le temps et l’espace, s’évertuant à façonner petit à petit une ode à la postérité dont ils seraient les échos.

C’est pourquoi il mettait en scène des vampires aux prises avec leurs démons intérieurs il y a quelques années dans Only Lovers Left Alive. C’est également la raison pour laquelle, il accouche aujourd’hui d’un film de zombies, assisté par ses acteurs fétiches Bill Murray et Tilda Swinton en tête. Au-delà du film de genre cher à la pop culture, le film de zombies a souvent été le chantre d’expérimentations sociétales d’une violence rare sans parler de l’hémoglobine qui coule souvent à flot. George Romero en a été l’instigateur et Edgar Wright l’un des derniers pionniers. Ici, Jarmusch reprend l’ambition des ses aînés, là où elle s’est arrêtée il y a près de quinze ans. Certes, il appuie énormément son propos, ne laissant que très peu d’implicite qui lui sied si bien d’habitude.

The dead don’ t die expose crûment la catastrophe écologique à venir appuyée par des modes de consommation aberrants. Si comme le répète constamment Adam Driver, tout cela doit mal finir en résonance aux alertes incessantes émanant aussi bien de chercheurs et d’activistes, alors la fin du monde est belle et bien proche. L’ambiance crépusculaire qui sonnait le glas du Ghost Dog, du peu d’humanité des vampires d’autrefois ou de l’amour d’antan de Bill Murray, vient ici s’instaurer au cœur d’une petite ville paisible, parfaite icône d’une Amérique inconsciente et léthargique. A l’instar du shérif interprété par Bill Murray, nul besoin ni de se remettre en question et encore moins d’agir. Au contraire, il vaut mieux éluder les questions qui dérangeraient le quotidien, ne point bouleverser des habitudes réconfortantes et écarter d’un bras, d’un mot ce qui nous terrorise de l’intérieur. Mais lorsque la menace galopante devient le fléau de l’humanité, le dernier baroud d’honneur  ne peut sauver que les apparences et en aucun cas la situation.

Michele Soavi disait dans son Dellamorte Dellamore que les vivants morts et les morts-vivants étaient de la même race. The Dead don’t die corrobore plus que jamais cette assertion tant les morts cherchent à reproduire l’attitude pathétique qu’ils adoptaient de leur vivant, alors que les vivants interagissent machinalement avec un environnement si ce n’est glaçant du moins désespérant. Beaucoup reprocheront le jeu aseptisé voire stéréotypé des acteurs. Mais en s’exprimant de manière monolithique, ils reproduisent à merveille non seulement la lividité des morts qui marchent mais également la communication passive émanant dans notre société. La communication a toujours constitué un point de rupture, une piqûre de rappel chez Jarmusch mais ses protagonistes malgré une différence de langage surmontaient  les difficultés intrinsèques dans ses précédents long-métrages. Ici, les échanges se font encore plus sarcastiques, plus amers, moins ouverts, les personnages devenant impuissants à se sortir d’un carcan entropique.

Mlaheureusement, The dead don’t die n’est point une œuvre culminante ou encore la matrice du futur pour Jim Jarmusch et ne tient point les promesses de Paterson ou d’Only lovers left alive. En outre, sa démonstration pêche à trop vouloir expliquer aux spectateurs son propos évident de nature. Pourtant, sans être une grande réussite, The dead don’t die se transforme au fil de l’action en un succulent poème macabre, au cynisme peut être exagéré mais en aucun cas éculé.

 

Film américain de Jim Jarmusch avec Bill Murray, Adam Driver, Chloë Sevigny, Tilda Swinton. Durée 1h43. Sortie le 14 mai 2019.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture