Un film, un genre
Genre devenu majeur au sein du paysage cinématographique actuel, au moins en tant que moteur économique, le film de super-héros prend malencontreusement aujourd’hui à rebours certaines valeurs qui firent autrefois sa gloire. On se souvient par exemple du classicisme exemplaire qui traversait brillamment le Superman de Richard Donner ou de la folie extravagante qui jalonnait le second opus de Tim Burton consacré au chevalier noir de Gotham. L’entame du nouveau siècle a permis de consacrer définitivement le genre non pas grâce aux essais maladroits et surestimés de Bryan Singer mais plutôt grâce à la fraîcheur juvénile et innocente d’un metteur en scène nourri à la pop culture avant l’heure et à la série B. Auteur d’une trilogie remarquable et remarquée, Sam Raimi s’est notamment distingué par un deuxième volet qui ouvrira définitivement les portes d’Hollywood aux personnages costumés non seulement en raison de son succès au box office, mais également de qualités intrinsèques encore inégalées dans le genre.
Et moi je suis…Spider-Man
Plus d’un an et demi s’est écoulé depuis les événements du premier Spider-Man. En situation d’échec professionnel, universitaire et sentimental causé par son alter ego, Peter Parker se voit confronter au plus grand dilemme de son existence alors que son nouveau mentor devenu fou suite à une expérience menace ceux qu’il aime.
La première scène de Spider-Man 2 que tous se remémorent est bien évidemment celle du tramway, moment ô combien épique mais sur lequel nous reviendrons un peu plus tard. En revanche la plus belle scène du film affiche un aspect anti-spectaculaire tout en soulignant la mise en scène subtile de son auteur mais également la véritable puissance dramatique d’un blockbuster à part. On y voit Peter Parker laisser vainement un message sur le répondeur de Mary Jane après l’avoir déçue une énième fois. Les deux amoureux entament alors une discussion imaginaire interrompue par le manque de crédit du jeune héros. Son dernier recours consiste à avouer son secret à un correspondant fantôme. Ces quelques minutes anodines résument pourtant en grande partie les enjeux multiples d’un long-métrage, défini tout de même par le fil conducteur le plus vieux du monde ,ce dès le premier volet, celui d’une romance impossible, que l’on a tous connu, que l’on connaît ou que l’on connaîtra un jour.
Le succès primaire de la franchise sur papier réside autant dans les exploits aériens du tisseur de toile mais également dans la fragilité émanant du personnage de Peter Parker. Allant à contre courant de Superman et surtout Clark Kent qui feignait introversion et maladresse, Parker personnifiait dans le comic book l’adolescent victime et mal dans sa peau, très souvent à l’image des lecteurs. Sam Raimi avec le précédent épisode transposa avec une grande réussite les éléments clés de l’œuvre de Stan Lee et Ditko. Avec ce Spider-Man 2, il va transcender d’autant plus le matériau d’origine toujours avec les mêmes armes, mais ici sublimées par une narration au découpage sans faille.
De prime abord, sur beaucoup d’aspects, Raimi ne fait que remettre au goût du jour les composants qui définissaient son opus antérieur, à commencer par la lutte contre la figure paternelle autrefois bienveillante symbolisée ici par Alfred Molina succédant ainsi à Willem Dafoe. Pourtant ce n’est point du côté de son prédécesseur qu’il faut chercher les fondements de Spider-Man 2 ni même du comic book mais plutôt de la trilogie cinématographique consacrée à Superman signée Richard Donner et Richard Lester. A son image, Sam Raimi a bâti un récit d’apprentissage héroïque racontant les origines, les doutes mais également la tentation d’un personnage si loin et pourtant si proche du spectateur. A l’instar de Clark Kent dans Superman 2, Peter Parker va s’écarter de son alter ego pour l’amour d’une femme. Cependant si Lester opta pour une résolution si ce n’est simpliste du moins limpide de la situation déchirante vécue par l’homme d’acier, Raimi va lui pousser bien plus loin cette crise de conscience, sa déconstruction du protagoniste prenant le chemin d’une introspection servie aussi bien par le script que par le découpage de sa mise en scène. Si Parker doit être tiraillé de toutes parts, alors la caméra se doit de l’être également. Tout du long, Raimi n’a de cesse d’enchaîner les situations anodines qui mises bout à bout reconstituent aussi bien le chemin de croix de son protagoniste que les différents morceaux d’un univers ambiant sur le point de vaciller.
Ainsi l’exposition pose en quelques minutes les ressorts dramatiques à venir à savoir les difficultés endurées par le protagoniste toutes liées à sa double identité : incapable de garder un travail, de pouvoir se tenir aux côtés de la femme qu’il aime, de révéler la vérité sur la mort de son père à son meilleur ami ou celle de son oncle à sa tante. En liant chaque épreuve et chaque remord au parcours de son héros, Raimi va bien au-delà du travail de Lester en répondant non seulement à la question qui suis-je mais également au pourquoi de ce qu’il est censé incarner. Mais la force de cette réflexion d’ensemble somme toute classique puise sa source dans la finesse du script et dans l’enchaînement de situations aussi fluide que dans le comic book lui-même, retrouvant par la même l’esprit du soap opera propre au media. La chute de ces interrogations sera en elle-même amenée par deux dialogues ciselés entre Peter et sa tante, le premier amenant les aveux de sa culpabilité du décès de son oncle, l’autre bouclera la réflexion sur la raison d’être du justicier lorsque May reprendra le flambeau de feu oncle Ben en le renvoyant à ses responsabilités.
Enfin, le dernier point prépondérant à aborder n’est autre que le rapport fusionnel existant entre l’homme araignée et la ville de New York. Certes ce point existait déjà dans l’œuvre de papier. Il est ici transcendé par les plans aériens imaginés par Sam Raimi, retranscrivant New York sous un angle jamais vu (très loin par exemple du travail d’un Woody Allen ou d’un Martin Scorsese, certes moins organique mais tout aussi humain) mais également par l’actualité tragique issue des attentats du 11 septembre. Les événements d’ailleurs avaient forcé le metteur en scène à enlever du premier long-métrage les images des deux tours. Après ces funestes incidents, la culture populaire et la ville furent en quête aussi bien de héros du quotidien qu’issus de l’imaginaire. La mutation du héros en super-héros sur grand écran ne fait alors que s’achever à cette période, accélérée par la mise en avant du parangon filmé par Sam Raimi. Aussi bien adulé que détesté, Spider-Man personnifie à lui seul les atermoiements d’une cité aussi bien portée par ses frivolités qu’empêtrée dans des situations précaires liées à l’aliénation d’une partie de ses habitants. Le héros costumé devient alors un dernier recours souvent refusé dans la réalité et salvateur sur grand écran, redonnant une forme d’espoir aussi bien à ceux qu’il assiste qu’aux spectateurs qui le suivent avec délectation. Figure de proue de cette analyse, la scène du tramway évoque toutes les thématiques prisées par le réalisateur et plus encore. Héritier des connotations christiques chères à Richard Donner, Spider-Man achève le processus symbiotique avec son environnement quand les passagers se transforment en cortège élégiaque et le portent tel le Maximus de Ridley Scott. Ce temps quasi contemplatif devient alors aussi immersif que le passage épique le précédant jamais égalé depuis .
Spider-Man 2 a fait bien plus qu’imposer le genre à Hollywood, s’affranchissant des limites imposées par tout blockbuster. En partant des bases antécédentes sans réitérer uniquement une formule gagnante, Sam Raimi démultiplie les enjeux de l’intime en lieu et place d’une esbroufe crainte et attendue. Quand le questionnement du moi se confond avec un mélodrame jamais boursouflé par un lyrisme exacerbé, le cinéaste fait mouche et accouche sans doute du plus grand film de super-héros jamais tourné. Tout simplement.
Film américain de Sam Raimi avec Tobey Maguire, Kirsten Dunst, James Franco, Alfred Molina. Durée 2h07. Sortie le 14 juillet 2004