Y a-t-il encore un cinéaste pour sauver le cinéma ?
1969. Rick Dalton est un acteur de second plan. Cliff Booth, cascadeur, est sa doublure et son plus proche confident. Évoluant dans une industrie qui leur semble désormais étrangère, il ne leur reste plus qu’à livrer un dernier baroud d’honneur. Pendant ce temps, Sharon Tate, comédienne insouciante fraîchement mariée aspire à la gloire.
Pour un large public, le cinéma d’Outre Atlantique incarne le plus souvent la forme de divertissement pop-corn à l’état brut, produit marketing aux enjeux commerciaux faramineux, dénué du moindre intérêt. Les récents succès des blockbusters estampillés Disney ne font qu’ajouter des éléments à charge dans ce procès d’intention. Pourtant, une analyse plus poussée de l’Histoire du cinéma tend à contredire ces accusations pour le moins fallacieuses. L’âge d’or hollywoodien porté par John Ford, Howard Hawks, Anthony Mann, Alfred Hitchcock ou Joseph Mankiewicz a vu bon nombre de chefs d’œuvre authentiques du septième art jaillir d’un système prétendument uniquement mercantile.
La période suivante qui débuta à la fin des années soixante pour s’achever en partie au début des années quatre-vingt, permit l’éclosion de talents et de génies tout aussi brillants que leurs aînés, style baroque à l’appui qui remplaçait la touche classique d’antan. L’ère dite du Nouvel Hollywood vit les auteurs prendre le pas et le pouvoir sur les studios, de Kubrick à Cimino en passant par Coppola.
Beaucoup de spécialistes s’accordent à penser que Tarantino tout comme les frères Cohen ou Steven Soderbergh sont eux-mêmes les héritiers contemporains de cette mouvance.
C’est pourquoi le regard porté sur l’industrie par Tarantino à la fin des années soixante, début du Nouvel Hollywood, dans son nouveau long-métrage a de quoi déconcerter. Son objectif, peindre la déperdition d’une époque au profit d’une autre à travers une fresque digne des grandes heures de Sergio Leone. Nanti d’un casting haut de gamme, le film va conter les destinées de deux protagonistes de second plan à la recherche d’un nouveau souffle dans leur carrière et de la novice, à savoir Sharon Tate, fausse ingénue qui se verrait bien en prochaine égérie de cet univers doré.
Avec un tel sujet, et au fait de l’amour éprouvé par le cinéaste pour les œuvres de ses aînés, il était concevable d’imaginer un long-métrage mélancolique, tantôt respectueux, tantôt acidulé, rendant hommage à la période évoquée. Cependant, il n’en est rien et le réalisateur continue le lent processus de destruction de ce qu’il a chéri, débuté après l’échec de Jackie Brown. Comme je l’avais expliqué dans ma critique consacrée à Django Unchained, Tarantino feint désormais d’honorer ce qu’il a aimé jadis pour mieux se railler des films qui ont bercé sa formation cinéphilique. Egratignant au passage Roman Polanski ou Bruce Lee, Once Upon A Time in…Hollywood donne l’impression qu’à partir des années soixante, le paysage audiovisuel américain se résumait à des westerns de bas étage ou à des shows télévisés ringards vers lesquels se tournaient bon nombre de comédiens. Relancer leur carrière revenait à s’exiler vers l’Italie pour tourner dans des œuvres il est vrai, considérées à l’époque avec plus de dédain. Bref, peu de qualité pour le cinéaste, juste du produit marketing.
Pourtant il faut rappeler à la fois à Tarantino mais aussi au spectateur néophyte que le début du Nouvel Hollywood laissait déjà entrevoir des films bien plus importants et surtout bien plus intéressants que ce que y est montré à l’écran. L’année précédente évoquée dans le film fut celle de la sortie de 2001 tandis que 1969 voyait l’avènement de Sam Peckinpah et de la Horde Sauvage. Quant aux shows télévisés dénigrés ici, ils ont permis à Clint Eastwood de faire ses premiers pas. Enfin, Sergio Corbucci, cité allègrement dans le long-métrage fait partie des cinéastes majeurs du patrimoine italien et n’est pas seulement un auteur de films frelatés comme on pourrait le supposer de prime abord.
La démarche de Tarantino est simple ici, appuyée par sa volonté de changer des faits dramatiques majeurs depuis Inglorious Bastards (Seconde Guerre Mondiale, esclavage, meurtre de Sharon Tate). Il se veut ni plus ni moins comme l’auteur qui sauvera le cinéma hollywoodien d’une chute inexorable. Pourtant, ses velléités sont contrariées par son apport minimal d’un point de vue strictement formel au septième art. Surligner n’est pas souligner, il ne puise pas son langage dans le passé pour mieux transcender son matériau comme le ferait Eastwood par exemple. En lieu et place, il s’adonne à des jeux de mots de moins en moins convaincants et use d’une dilatation temporelle fort mal maîtrisée. Cette méthode qui fut l’apanage des Ozu, Kubrick ou Tarkovski échappe au contrôle de Tarantino, tant l’ostentation putassière dont il fait preuve gâche aussi bien l’émotion que l’indicible subtilité.
Sous couvert du portrait nostalgique d’un moment idyllique de l’histoire d’Hollywood et avec l’ambition d’égaler les grandes fresques de Leone ou Coppola, Once Upon A Time In..Hollywood a pour unique but de parachever une annihilation du fond et de la forme d’un cinéma soit disant à la dérive. S’érigeant en héros capable de changer cette situation, Tarantino symbolise pourtant l’entropie d’un système dans lequel les auteurs ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Et dire que pendant ce temps les films de James Gray, Jeff Nichols ou Todd Haynes sont boudés par le public…
Film américain de Quentin Tarantino avec Leonardo Di Caprio, Brad Pitt, Margot Robbie. Sortie le 14 août 2019. Durée 1h41.