Le triomphe de Bong Joon Ho aux Oscars ou la pirouette de l’Académie

Y a-t-il encore un auteur dans la salle ?

Il y a quelques jours, j’ai eu l’occasion de voir le film Notre Dame du Nil, oeuvre traitant de la situation délicate au Rwanda en 1973, peu après la proclamation de la jeune République. Malgré l’intérêt informatif certain du long-métrage, la mise en scène de son réalisateur péchait par son illustration, surlignant sans cesse ses velléités à l’image d’une scène dans laquelle deux jeunes femmes tentent d’escalader une statue placée trop haute pour elles, filmées en plongée et répétant qu’il leur était difficile d’accéder à leur but…maladroit pour ne pas dire redondant.

Les plaintes récentes de Martin Scorsese vis-à-vis des blockbusters et particulièrement des films de super-héros, la crainte de voir ce nouveau genre dominer financièrement l’univers cinématographique s’avère certes sincère mais relève un peu de la mauvaise foi; ce n’est point la première fois qu’une telle hégémonie d’un genre existe au box office au point de remettre en cause l’équilibre fragile d’une industrie (souvenons nous des succès d’Avatar ou de Terminator 2 et des sommes engagées…).

Non, le véritable ennemi du cinéma dit d’auteur ce n’est point le blockbuster, mais plutôt un formatage né d’une entropie, d’un oubli récurrent d’un passé glorieux, si loin et si proche. Aujourd’hui, pour qu’un auteur soit reconnu par la critique, par le public, et être récompensé, il se doit de disposer d’un sujet « passionnant et engagé » quitte à oublier les principes de la mise en scène ou s’affilier à la tendance visuelle ostentatoire héritée de Martin Scorsese et perpétuée par Tarantino, Innaritu, De Palma voire Cuaron. A l’arrivée, un moule se charge d’orienter chaque nouveau venu vers une forme unique, souvent putassière et parfois vide de sens. Quand Lucas disait qu’il voulait des plans pas des scènes, il a été entendu non seulement par les adeptes de la technique mais également par les auteurs sus cités ; le choix du plan (notamment l’utilisation abondante de plan-séquence) incarne à lui seul la mise en scène en lieu et place d’en constituer l’un des nombreux éléments.

Cette tendance à apprécier des effets superfétatoires a bien évidemment frappé l’académie hollywoodienne, y compris celle des Oscars, récompensant pèle mêle ces dernières années Tarantino, Mendes, Innaritù , le principe racoleur du souvenir carte postale laissé par The Artist ou Titanic, les « grands sujets « , comme Argo ou Spotlight. Les récompenses destinées aux acteurs quant elles se destinent à des rôles plutôt qu’à des performances. L’essentiel est donc oublié au profit de paillettes superflues.

Cependant, il arrive à ladite académie de faire preuve de discernement : depuis les années quatre vingt-dix, à quelques reprises, elle a su couronner à juste titre le classicisme d’Eastwood (Impitoyable, Million dollar baby), la verve digne d’Aldritch de Bigelow (Démineurs) ou l’œuvre iconoclaste des Frères Cohen avec No country for old men.

Mais rien ne laissait présager la victoire de Parasite lors de la 92ème cérémonie des Oscars, dimanche dernier. Triomphe historique puisque pour la première fois, un film en langue étrangère remporte la précieuse statuette. Surtout, le succès de Bong Joon Ho personnifie peut être le changement de cap critique dont le cinéma a tant besoin. En refusant la victoire à Tarantino, à Philips ou à Mendes, l’académie semble revendiquer un désir de renouveau dans l’approche du septième art pour la prochaine génération.

Bong Joon Ho symbolise ce monde à part. Sans être un néoclassique comme Eastwood, Gray, Nichols, Haynes ou Chazelle et allant au-delà du style baroque d’un Coppola, Bong Joon Ho porte haut l’héritage des Wellman ou Kubrick, ces cinéastes qui usaient du genre pour mieux parler d’autre chose. Beaucoup vont découvrir Ho avec le succès de Parasite. Mais l’homme avait déjà marqué les esprits par une filmographie certes peu nombreuse mais riche et éclectique. Polar, film de monstre, drame, film de science-fiction, le sud-coréen se joue des genres pour mieux critiquer aussi bien la société en général, sa Corée du Sud et l’Homme à l’instar d’un Kubrick. Tel le maître, Ho subjugue et intrigue par son cynisme, son franc-parler, détourne les pistes et assène des coups là où cela fait mal. Il n’oublie surtout jamais, malgré quelques élans grandiloquents, que la suggestion fait partie du cinéma, que ce dernier à l’image de ses personnages doit conserver un côté naïf, invisible et en partie innocent. Il ne cesse de parler de sacrifice, celui d’être capable de troquer quelque chose malgré soi contre une autre, une fin heureuse, même si le prix est lourd à payer. Ne reste plus alors qu’un vide sidéral, un paradigme inexplicable dans lequel l’absurde l’emporte sur la raison ; un homme perd sa fille et gagne un fils dans The Host, un jeune homme se sert du système honni pour sauver son père dans Parasite, et un tueur en série se cache sous les traits d’un quidam dans Memories of murder.

Bong Joon Ho n’oublie jamais qu’un art s’il veut être subversif ne doit jamais user des armes de ceux qu’il abhorre. En intronisant le metteur en scène, Hollywood frappe du poing sur la table et annonce peut être un bouleversement salvateur dans la conception même du septième art contemporain.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture