Invasion Los Angeles
Les envahisseurs
Ouvrier au chômage, John Nada se rend à Los Angeles afin de retrouver un toit et du travail. Engagé sur un chantier, il fait la connaissance de Frank qui vit au sein d’un bidonville de quartier. Peu de temps après, John met la main sur d’étranges lunettes de soleil suite à une descente de police dans les locaux d’une mystérieuse organisation. A l’aide de ses lunettes, John va découvrir la supercherie; la terre est infiltrée par des extraterrestres avides d’asservir l’humanité. Le début d’une bataille digne de David contre Goliath…
Thématique favorite des films de science-fiction américain des années cinquante, l’invasion extraterrestre dissimulait en son sein la peur larvée du spectre communiste aussi bien dans les foyers que dans les organes du pouvoir, sur fond de Guerre Froide et de peur de la bombe. Par la suite, les futurs dystopiques devinrent l’apanage du genre sur grand écran et c’est naturellement vers la télévision que les attaques martiennes chères à Georges Wells connurent une seconde jeunesse avec en point d’orgue Les envahisseurs puis dix ans plus tard V. Au cinéma hormis l’injustement sous-estimé L’invasion des profanateurs de Don Siegel, plus rien de notable ou presque comme si « la guerre des mondes » avait cessé de susciter aussi bien l’intérêt du public que des réalisateurs. Hors bien, avant la résurgence du thème dans les années quatre-vingt dix avec le déplorable Independance Day, le sulfureux Starship Troopers ou encore le malicieux Mars Attacks, un autre grand nom du cinéma de science-fiction et d’horreur s’épancha sur le sujet. Comme Don Siegel, il incarne la série B dans toute sa noblesse, sans condescendance. Cet homme c’est John Carpenter, trublion, chien fou, qui s’est taillé une solide réputation avec New York 1997, The thing, Assaut ou encore Halloween.
En cette fin de eighties, il va avec Invasion Los Angeles, rendre un verdict outrageusement tapageur sans user d’artifices pyrotechniques grandiloquents mais plutôt en distillant une ambiance singulière à l’image de Don Siegel sur L’invasion des profanateurs. Durant cette fin de règne reaganien, les inégalités se sont accentuées tandis que le modèle ultralibéral atteint des sommets. Carpenter s’attarde alors sur les laissés pour compte via le prisme de John Nada. Nom de famille choisi judicieusement, nada ou rien en espagnol souligne bien l’insignifiance sociale du protagoniste. John Nada quant à lui symbolise le personnage typique prisé par Carpenter tout comme Invasion Los Angeles présente les atours traditionnels de la filmographie du cinéaste A tel point que réussite ou non, Invasion Los Angeles recèle tous les standards privilégiés par Carpenter depuis Assaut jusqu’à devenir si ce n’est un film charnière du moins un film générique.
La marque de fabrique du metteur en scène ne réside point dans les bouts de ficelle hérités de la série B mais au contraire d’une mise en scène très proche de la glorieuse période classique américaine. Amoureux d’Howard Hawks ou de John Ford, Carpenter s’attache comme ses idoles au principe de la litote malgré quelques explosions de violence bien senties, effets gore à l’appui. D’ailleurs, il n’hésita point à puiser son inspiration chez Hawks pour The Thing et Assaut ou chez Hitchcock pour Halloween. Invasion Los Angeles à bien des égards lorgne du côté des chroniques fordiennes consacrées à la Grande Dépression. En exil vers le soleil de la Californie, Nada espère trouver dans la région une terre plus hospitalière que celle qu’il a quittée. Pourtant, le désenchantement point bien vite à l’horizon alors que superbes villas ou studios de télévision ne seront pour lui que champs de bataille. De ce postulat, Carpenter tire la force sous-jacente de son histoire d’invasion. Alors que ces prédécesseurs montraient du doigt avec virulence le danger du communisme, le réalisateur lui prend à contre-pied le courant d’antan pour mieux tirer à boulet rouge sur les ravages perpétrés par le capitalisme, vertu cardinale de la nation qui rassemble via un rêve chimérique l’espoir d’une destinée glorieuse. John Nada appartient aussi bien à cette génération vouée aux mirages de l’argent qu’aux archétypes qui jalonnent l’œuvre de Carpenter. Chez Carpenter en effet, les protagonistes refusent la confrontation souvent fortuite avec des forces qu’ils ne comprennent pas ; pis encore, ils s’attachent souvent à des ancres illusoires censées les maintenir du moins en vie, au mieux dans le chantre de la réalité. John Nada l’explique à juste titre, ce qui le fait avancer malgré la misère qui le frappe de plein fouet, c’est l’infime possibilité que fortune lui sourit, promesse vaine issue de l’idéal Outre-Atlantique. Pourtant ses repères vacillent subitement quand le réveil permis par le port de lunettes de soleil fait basculer ses certitudes et sa foi dans un système à priori immuable. Le choix des lunettes de soleil accessoire de mode se mute en métaphore féroce ou comment cacher un astre hollywoodien et comprendre que l’entropie a depuis bien longtemps gagné la machine à rêves…
Durant ce cheminement, Carpenter refuse le rythme décousu pour une lente exposition des enjeux, croissante à la manière de Rio Bravo, long-métrage qu’il affectionne tant. Il est alors temps pour John Nada de sonner la révolte tandis que l’appel aux armes devient chemin de croix cynique. Pour rameuter les troupes, rien ne vaut mieux qu’une rixe féroce aux allures comiques filmée à la manière du climax de l’Homme tranquille de John Ford. Ne reste plus alors qu’aux derniers résistants de prendre d’assaut sourire aux lèvres, le centre de la duperie puis de célébrer un sursaut de la race humaine, annonçant de cette façon la conclusion sept ans plus tard de Los Angeles 2013.
Satire féroce de la société américaine, Invasion Los Angeles égratigne tout le monde, n’épargne personne, encore moins la lâcheté des uns et la cupidité des autres. Son message féroce trouve encore écho de nos jours, tant Carpenter grand visionnaire et lanceur d’alerte malgré lui avait vu juste dès Assaut. Si Invasion Los Angeles ne figure pas parmi les chefs-d’œuvre de son auteur, il a le mérite par sa bonne humeur agressive, de donner le ton juste au sein d’une filmographie iconoclaste unique.
Film américain de John Carpenter avec Roddy Pipper, Keith David, Meg Foster. 1989. Durée 1h33.