Metropolis

La cité interdite

Joyau d’un futur indéterminé, la ville de Metropolis sépare en son sein une bourgeoisie oisive dirigée par l’omnipotent Joh Frederson et la classe ouvrière, plongée dans les souterrains de la cité, condamnée à entretenir l’opulence des lieux du dessus par son labeur. Un beau jour, Maria guide les enfants des travailleurs au cœur des quartiers rupins. Le fils de Frederson, Freder l’aperçoit et prend conscience de l’existence de ceux du dessous. S’entichant de Maria, il aspire à une ère nouvelle. Cependant, Frederson s’ingénie à contrarier ces plans et engage le savant Rotwang afin de l’épauler dans son combat. Ce dernier teste alors sa dernière invention, l’être-machine…Le début de l’Apocalypse.

L’année 1927 restera dans les annales de l’histoire des cinéastes allemands. Outre-Atlantique, l’enfant prodigue d’Outre-Rhin, Friederich Murnau accouche de son monument l’Aurore. Resté au pays, l’autre prodige local, Fritz Lang expose quant à lui, sa vision du futur digne d’un démiurge, Metropolis ! La genèse du projet en lui-même tient du projet pharaonique issu des rêves de grandeur d’un cinéaste alors en pleine ascension après son adaptation de la légende des Nibelungen.

Nanti d’un budget de trente millions d’euros soit le montant le plus important consacré à un tournage à l’époque, Metropolis démarre l’ère des superproductions démesurées bien avant les Dix commandements de Cecil B. De Mille ou le Cléopâtre de Mankiewicz. Paradoxalement, malgré l’envergure du long-métrage, Metropolis essuie rapidement des critiques assassines aussi bien des spécialistes que du public. L’échec s’avère retentissant pour le metteur en scène qui voit son œuvre amputée de plus de trente minutes afin de satisfaire producteurs et spectateurs. En outre, peu voient dans ce film d’un genre nouveau la dimension épique et avant-gardiste qu’il propose. Ironique quand on sait que près de cent ans plus tard, Metropolis a fortement influencé bon nombre de réalisateurs mais aussi des romanciers, des scénaristes et autres artistes. Si certains reprochent aujourd’hui un aspect fasciste dissimulé par Thea Von Harbou, épouse Fritz Lang alors chargé du scénario (qui rejoindra d’ailleurs plus tard le parti nazi), d’autres préféreront retenir le message d’apaisement prôné par Lang tout du long malgré le caractère caricatural de certaines situations. En revanche, nul ne doute de la puissance esthétique qui ressort de l’ensemble, summum du courant expressionniste mais également synthèse des figures mythologiques prisées par le cinéaste. Résultat, Metropolis incarne le syncrétisme brillant des cultures passées, présentes et sans que son auteur le sache à venir.

Ainsi le savoir-faire de Fritz Lang allie subtilement sa projection dans un futur incertain aux thématiques qui lui sont chères, la culpabilité, la mécanique des doubles, la manipulation et bien entendu la violence dont fait preuve l’homme vis-à vis d’autrui, quitte à tout dévaster sur son passage. Ce qui frappe avant tout lorsque l’on voit Metropolis pour la première fois, c’est bel et bien la capacité du metteur en scène à capter l’essence d’une mégalopole et d’en dresser les contours ultérieurs possibles, rentrant de fait instantanément dans l’imaginaire collectif. Cinquante-cinq ans avant la Los Angeles de Blade Runner, Metropolis se posait déjà en tableau crédible de la cité du futur, pas seulement dans son approche technologique mais bel et bien dans la retranscription sociétale malgré des aspects caricaturaux évoqués plus tôt. En insufflant un mouvement perpétuel à l’écran, Fritz Lang parvient à reproduire l’énergie quasi hystérique qui anime la population, que ce soient des ouvriers en souffrance ou bien des bourgeois s’enivrant lors de bacchanales éternelles. Le long-métrage prend alors des airs opératiques, rythmé par la musique de Gottfried Huppertz (avec qui Lang avait collaboré sur Les Niebelungen). Lorsque cette farandole des corps cesse quelques instants, Lang se plaît alors à mettre en relief des amants, des amis, un regard médusé ou apeuré lors de plans picturaux qui donnent libre cours à sa créativité expressionniste. L’autre force de Metropolis repose sur la transmutation de sources bibliques ou mythologiques en images à même de traverser les âges cinématographiques. Un impressionnant fourneau se métamorphose l’espace d’un instant sous les traits du terrifiant Moloch. Et il y a bien sûr cette scène mythique qui voit Rotang tel le docteur Frankenstein donner vie à l’être-machine, fausse Eve mais véritable Pandore capable de faire vaciller le monde.

Un monde dont Lang dresse un portrait désabusé, souvent naïvement mais qui parvient à faire mouche via des considérations thématiques propres qui le harcèlent inlassablement. Comme souvent chez Lang, tout ramène au péché originel, ici à la faute du père ou plutôt des pères quand la venue d’un enfant brise un équilibre familial déjà précaire. Pour Freder, il s’agit alors de briser le cercle des souffrances, de racheter un peu de probité face au chaos perpétré aussi bien par l’omnipotence capitaliste que la gronde du prolétariat. Freder tout comme Maria incarne le dernier pilier des vertus d’une humanité perdue au profit d’une mécanique implacable. Oui, l’homme n’a nul besoin de la création de Rotwang pour devenir machine. Pis encore, chaque résident de Metropolis constitue un des rouages d’un engrenage froid et implacable, des membres de la banque Frederson aux ouvriers oubliés, chaque geste est mû par une volonté invisible et non propre. Quand l’émancipation profile à l’horizon c’est pour mieux céder aux vaines tentations ou bien encore à la violence suscitée par une fausse prophétesse. Manipulation et violence, d’autres maîtres mots chers au cinéaste. Ici, la frénésie et la fureur effacent tout sentiment de responsabilité quitte à laisser derrière soi sa propre chair au nom d’une justice factice. On suit aveuglément le double enchanteur, exécrable, celui que l’on devient par inadvertance, par faiblesse.

Pour seul châtiment au fatras, Lang déversera l’antique déluge. Pour seule réponse au désordre, Lang préfèrera la compassion. Au-delà des questionnements idéologiques certes justifiés, d’un certain laisser-aller dans un lyrisme complaisant, Metropolis impose sa dimension épique, la folle ambition de son auteur et surtout un champ d’expérimentation nouveau qui influencera les générations futures comme peu d’œuvres du début du vingtième siècle. On se réfère alors à l’héritage de Lang laissé à Orson Welles, Michael Mann, Ridley Scott, Christopher Nolan, Alex Proyas, Sam Raimi ou Mamuro Oshii lorsque l’on s’épanche sur les liens ténus qu’entretiennent la ville et le cinéma.

Film allemand de Fritz Lang avec Brigitte Helm, Alfred Abel, Rudolf Klein-Rogge. Durée 2h33. 1927

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture