Dune

Dune

 Les rois du désert

An 10191. Héritier de la maison Atréides, une des familles dirigeantes de la galaxie, Paul fait l’objet de toutes les attentions. Jeune surdoué, il est depuis peu assailli par des rêves étranges quasi divinatoires. La réalité rejoint l’illusion lorsqu’avec les siens, il est envoyé sur Arrakis afin d’exploiter l’épice, la richesse la plus précieuse de l’univers. Il va très vite être confronté aux ennemis héréditaires des Atréides, les Harkonnens, et faire la connaissance des Fremens, mystérieux autochtones qui voient en lui l’Elu à même de les mener vers la liberté…

Il y a déjà plus de vingt cinq ans, Patrick MacGoohan clamait régulièrement que la meilleure adaptation sur grand écran d’une série télévisée ne pouvait être que sa pièce maîtresse, Le prisonnier, car tel Godot, on l’espèrerait toujours mais elle ne verrait jamais le jour. Tout comme Le prisonnier, une sorte de malédiction plane sur Dune, sans doute l’une des plus grandes œuvres littéraires de science-fiction (la plus grande ?) jamais écrites mais qui connut des portages de qualité diverse sur petit et grand écran. On dénotera le film malade de David Lynch handicapé aussi bien par les contraintes des producteurs de l’époque que par une vision étriquée du roman. Il y eut également une série télévisée au début du second millénaire, qui couvrait d’ailleurs les trois premiers ouvrages de la saga, et qui déçut par son manque d’ambition et surtout de moyens. Enfin, faut-il vraiment évoquer le projet avorté de Jodorowsky (dont les talents de réalisateur sont largement surévalués). C’est pourquoi l’essai de Denis Villeneuve relève d’un pari complètement fou, hautement risqué, semé d’embûches, aussi bien liées à la nature intrinsèque de son dessein que par la crise vécue par le secteur cinématographique. En outre, l’échec au box office de son Blade Runner 2049 n’aide en rien ses intentions, Dune personnifie presque le blockbuster de la dernière chance pour le Canadien, nanti d’un budget finalement modeste par rapport aux standards hollywoodiens actuels (seulement 165 millions de dollars, bien peu pour un tel film, surtout  lorsque l’on enlève les frais marketing et les salaires du casting)…Par conséquent, la suite de Dune (le long-métrage ne couvre que la première moitié du roman) induit automatiquement un succès commercial sous peine de ne voir jamais la conclusion du récit d’origine…

Il y a quelques années, le critique Michel Ciment comparait à juste titre le travail de Denis Villeneuve à celui du grand artisan des années soixante dix, Don Siegel. Tout comme son aîné, Villeneuve fait preuve d’un véritable sens de l’économie, d’une efficacité dans la retranscription de la tension narrative et puise dans les racines formelles classiques le principe trop souvent oublié aujourd’hui de la litote. Toujours à l’image de Siegel, Villeneuve affectionne le western au point d’en apposer les caractéristiques à sa filmographie de Sicario à Blade runner 2049. C’est pourquoi Dune ne pouvait point échapper à un tel traitement, surtout lorsque l’action se déroule sur une planète désertique…Villeneuve revient alors sur les fondamentaux d’une bonne adaptation (et non une transposition) en pliant le matériau primitif à son propre regard. Si son long-métrage manque de fidélité à Herbert, en ne respectant pas l’aspect choral et en reléguant au second plan certains protagonistes d’envergure, Villeneuve retrouve en revanche l’essence de l’œuvre de Frank Herbert, en couvrant la dimension politique, religieuse, écologique par la suggestion, par la litote tout simplement. Surtout, il renoue avec la portée initiatique du roman, en replaçant Paul au centre de toutes les intrigues, souligne intelligemment les hésitations, les erreurs de l’adolescent futur dieu, contrairement au caractère illustratif et hagiographique du film de David Lynch. Le personnage incarné par Timothée Chalamet (au passage extrêmement convaincant) rejoint en outre les autres héros campés par Ryan Gosling, Amy Adams, Emily Blunt dans la filmographie de Denis Villeneuve. Kate, K, Louise et Paul désormais se posent en hérauts du metteur en scène, porteurs du renouveau, prophètes malgré eux dans des temps apocalyptiques au premier sens du terme. Il leur faut apprendre, comprendre, transcender leur statut de mortel pour accéder à la vérité, coûte que coûte. Dans Dune, Villeneuve procède par étapes et se soustrait alors à la prose d’Herbert pour parvenir à ses fins. Et puis il y a la scène mythique de la boîte (seule véritable réussite du long-métrage de David Lynch) ; le réalisateur démontre en quelques minutes tout son savoir-faire, en se concentrant tout aussi bien sur le visage de Paul que sur la litanie prononcée par Jessica. Un tour de force.

Si le public de connaisseurs recherche dans ce Dune  une fidélité au pied de la lettre aux écrits de Frank Herbert, qu’il passe son chemin. Dans cette optique, ledit public criera sans doute au crime de lèse-majesté. Pourtant, Dune sans être véritablement le chef-d’œuvre attendu (et que l’on attend encore de la part d’un cinéaste tel que Denis Villeneuve) n’en demeure pas moins un grand film, western initiatique sans concession, joyau brut poli au fil de l’action. Le long-métrage est balayé par un souffle épique et poétique tout comme Arrakis par les vents de sable incessants, longue ode annonciatrice d’un futur funeste, transcendée par le score d’un Hans Zimmer au sommet.

 

Film américain de Denis Villeneuve avec Timothée Chalamet, Oscar Isaac, Rebecca Ferguson. Durée 2h35. Sortie le 15 septembre 2021

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture