La proie d’une ombre
L’emprise
Encore sous le choc après le suicide incompréhensif de son époux, Beth se coupe peu à peu du monde extérieur et se retire pendant son temps libre dans la demeure conjugale, isolée au milieu des bois, à la bordure d’un superbe lac. Très vite, elle est assaillie par des visions cauchemardesques tandis qu’une présence d’outre tombe semble l’interpeler. Malgré les conseils de son entourage, elle décide de mener sa propre investigation, en commençant par fouiller dans les affaires de son mari défunt. Elle déterre alors des secrets à même de la faire basculer dans la folie…voire pire !
La sortie de La proie d’une ombre permet de dresser l’état du genre horrifique sur grand écran, aujourd’hui dans ces colonnes. Productions très souvent indépendantes, les films d’horreur regorgent souvent d’idées, recyclées ou novatrices pour compenser un certain manque de moyens. Quant aux auteurs ils étalent souvent un savoir-faire artisanal plus ou moins maîtrisé, n’est pas qui veut John Carpenter ou Jacques Tourneur. Or ces dernières années, le genre peine à trouver une relève de qualité parmi ses flambeaux, en dépit des louanges plus ou moins méritées adressées à Jordan Peele ou Ari Aster.
David Bruckner appartient à cette caste de petits artisans, malins à défaut de posséder l’envergure des plus grands. Or, à bien des égards, son dernier long-métrage, La proie d’une ombre recèle en son sein à la fois tous les défauts mais également les qualités, certes artificielles qui permettent au genre de se maintenir à flot. En effet, malheureusement le film souffre des mêmes aspérités ostentatoires qui minent le genre depuis des années, répétant une leçon usée jusqu’à la corde, incapable de s’affranchir des maints clichés qui agacent le public contemporain. On peut souligner l’usage d’une musique pompière pour accentuer la terreur présentée à l’écran ou la reprise d’éléments scénaristiques vus trop souvent pour justifier le surnaturel dans l’histoire.
Pourtant, abstraction faîte de ces nombreuses anicroches, on découvre un aspect mélodramatique certes convenu mais plutôt bienvenu au milieu du fatras horrifique traditionnel. Bruckner soulève alors parfois finement de nombreuses interrogations autour du deuil et de la culpabilité (toute proportion gardée évidemment). Tel Orphée, Beth traverse le courant du Styx pour partir sur les traces de son amant tandis que le cinéaste s’appuie sur une iconographie mythologique assez plaisante. En outre, il se montre capable de maîtrise via certaines astuces lors de l’implantation progressive de son univers à travers le regard de son héroïne. L’appréhension de la terreur systématiquement à contre-champs ou les jeux d’ombre et de lumière bien rendus grâceà la photographie sont autant d’éléments qui contrebalancent les nombreux aspects négatifs évoqués précédemment. Quant à l’héroïne justement, elle est pour le coup parfaitement campée par Rebecca Hall. L’actrice délivre une prestation juste et crédible aussi bien lorsqu’elle adopte un ton sarcastique ou lorsqu’elle verse des larmes de désespoir. Un jeu solide qui fait d’elle une « scream queen » tout à fait convaincante.
A défaut de révolutionner le genre et en symbolisant justement son impuissance par moments, La proie d’une ombre réussit en revanche à dégager le charme juvénile des véritables séries B d’antan, malgré des velléités parfois trop ambitieuses pour son auteur. S’il se plaît dans un costume trop grand pour lui, Bruckner impose en revanche un certain sens de l’efficacité sans afficher une réelle virtuosité.
Film américain de David Bruckner avec Rebecca Hall, Sarah Goldberg, Evan Jonigkeit. Durée 1h48. Sortie le 15 septembre 2021