Illusions perdues

A nous deux Paris

Jeune poète idéaliste, Lucien œuvre à l’imprimerie familiale d’Angoulême tout en entretenant une liaison avec une noble de la région. Pour éviter le scandale, tous deux quittent leur province pour se rendre à Paris, nourrissant moult espoirs. Après les premières déceptions, Lucien va se perdre dans les méandres d’une société gangrénée par l’argent et la corruption…perdant à tout jamais sa candeur originelle.

Après Eugénie Grandet, Illusions perdues est la seconde adaptation d’un roman d’Honoré de Balzac à sortir sur les écrans cet automne. Si l’essai de Marc Dugain a pu laisser à juste titre certains de glace, le travail de Xavier Giannoli suscitait lui, en revanche beaucoup d’attentes, tant le cinéaste avait convaincu par le passé avec des œuvres telles que Marguerite ou A l’origine. Le choix de porter sur grand écran une œuvre de Balzac pour le cinéaste n’a rien de fortuit, tant les personnages de La comédie humaine présentent des caractéristiques communes à ceux existants dans sa propre filmographie.

Pour restituer l’ambiance de la France à l’époque de la Restauration, Giannoli drape Illusions perdues d’un baroquisme étincelant, presque tapageur. Il entraîne son protagoniste, le candide Lucien dans le tourbillon d’une vie parisienne en totale opposition à celle vécue à Angoulême, soulignant ou surlignant les fastes superficiels de la capitale et la quiétude provinciale. Récit d’apprentissage fidèle à l’esprit balzacien, le long-métrage de Xavier Giannoli se saisit de l’occasion pour renouer avec ce qui fait la force de son cinéma. Lucien symbolise l’archétype typique présent dans l’œuvre de Giannoli, celui d’un doux rêveur bercé par ces « illusions perdues », plaçant sa foi dans un talent relatif voire inexistant et vivant dans un déni à l’image des artistes qui se sont brûlés les ailes à persister dans une quête au succès, inaccessible. Une seule issue possible, endosser le costume de l’imposteur. Une fois de plus le metteur en scène traite de la perte de l’innocence, de l’incapacité de se réveiller au moment propice, avant qu’il ne soit trop tard. Le roman de Balzac s’attachait à une critique féroce du milieu littéraire et intellectuel, machine à broyer les âmes. Giannoli s’en préoccupe de manière plus sibylline à travers les destins croisés de Lucien, Etienne et Nathan. Chacun aspirait ou aspire encore à la gloire, à une reconnaissance d’un don qui ne viendra peut être jamais et finit par vendre son âme à l’oisiveté facile, fatidique. Xavier Giannoli n’affiche jamais autant de maîtrise qu’au moment de ces portraits en porte à faux, lorsque la voix off s’efface au profit des non-dits tandis que les acteurs reprennent la main sur le ton démonstratif imposé par cette même voix off. La rencontre entre Louise et Coline atteste de cette maîtrise au point que l’on regrette fort que l‘ensemble du long-métrage ne se calque pas sur cette scène.

En effet, Illusions perdues peine à dissimuler les aspérités en son sein, empêtré trop souvent dans une illustration qui ne convient point ni aux ambitions de son auteur, ni à ses fulgurances. La présence de la voix off intime le spectateur à une soumission totale à l’interprétation du cinéaste, sans nuances et surtout sans mystère. Lorsque Stanley Kubrick usait du procédé dans Barry Lindon, il n’annonçait que les subtilités de la mise en scène à venir. Comme bon nombre d’utilisateurs de la voix off avant lui, Giannoli commet l’erreur de décrire une seconde fois l’action en simultané, préférant un pléonasme maladroit au détriment d’une litote plus appropriée. Summum de cette maladresse, le plan rapproché ostentatoire où Lucien cache son sexe avec un billet, après un dernier rapport charnel avec son ancienne maîtresse, contre de l’argent. Giannoli à cet instant fait preuve de la même condescendance que les intellectuels critiqués par Balzac dans le roman d’origine, puisqu’il réfute la capacité du public à saisir le principe métaphorique exposé.

S’ajoute alors un dernier écueil, inhérent au choix de courber l’œuvre originale afin de dresser un tableau féroce de notre présent sous forme de rétro-fiction. Si sa volonté sincère de critiquer un système médiatique à bout de souffle s’avère louable, Giannoli irrite à forcer le trait quitte à se désintéresser du parcours initiatique de son héros charismatique.

C’est pourquoi Illusions perdues tend à diviser, incapable d’assumer son côté binaire. Tandis que Xavier Giannoli s’échine à dessiner une fresque ampoulée, derrière ses atours grandiloquents, Illusions perdues présente des facettes ingénues, à l’image de ses personnages. Et c’est bien cet aspect plus authentique que l’on appréciera.

Film français de Xavier Giannoli avec Benjamin Voisin, Cécile de France, Vincent Lacoste. Durée 2h30. Sortie le 20 octobre 2021

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture