Suzanne, après des années de bons et loyaux services au sein de son entreprise, est licenciée durement pour avoir seulement égaré un dossier. Au lieu de rentrer chez elle, elle s’assoit alors sur un banc. Des mois plus tard, elle est toujours sur ce même banc, où son mari lui rend parfois visite, avec un sandwich, ou bien avec une bassine pour laver son petit linge. Et les gens observent. Comme elle le dit si bien « Je regarde les oiseaux. Tout le monde peut me voir. ». Car les gens sont dérangés de voir que quelqu’un qui possède une maison ne va pas y dormir, mais préfère, puisqu’on l’a mise dehors, rester sur un banc. Ce banc est pourtant public… et ce n’est pas la misère de cette femme licenciée que l’on condamne en créant un collectif, en signant des pétitions. C’est bien évidemment la présence de cette femme, et de sa survie par tous les temps, à toute heure de la journée.
Qu’elle est ambigüe cette Suzanne ! Ce n’est pas qu’elle ne possède plus rien : elle a un mari, un fils, un toît. Alors bien évidemment il est difficile de comprendre qu’elle puisse dormir sous les étoiles, faire d’un banc public un endroit damné, et condamné au souvenir de la honte, à la présence de la honte : qui regarde la honte finit par avoir honte aussi. C’est ce qui gêne les passants. Non ce n’est pas qu’elle ne possède plus rien, mais elle ne voit pas, Suzanne, comment elle pourrait rentrer chez elle et vivre normalement quand on la licencie froidement, comme une malpropre, comme une incompétente. L’accusation de l’incompétence crée l’incompétence et l’erreur : ainsi, elle n’est plus capable de rentrer chez elle, de rejoindre sa vie.
Suzanne ou le récit de la honte décrit à la première personne ce que c’est que d’être tout à coup émargé. Christina Mirjol utilise une écriture qui se pense, qui se dicte, qui se dit avec les hésitations et les redites de l’âme tourmentée, qui s’affole, désespère, ou espère parfois : « Je pense à ma jeunesse comme à une demoiselle qui me rendrait visite, mais elle est pressée et me quitte, et sur le banc désert je ne suis plus qu’une dame entourée de grands arbres et qu’on ne salue plus. Ma peau tiède et mouillée m’apparaît en rêve fripée : je suis une vieille femme assise sur un banc, tout à fait libérée de la tâche d’être jeune, qualifiée et jolie. Et si demain matin renaître était possible, dit Suzanne. ».