Michael Cimino, un voyage américain

Un autre voyage à travers le cinéma américain

En 2010, Jean-Baptiste Thoret prend la route des grands espaces américains avec le cinéaste Michael Cimino. Leur conversation sera relatée via un ouvrage du critique français et dans les colonnes des Cahiers du cinéma. Dix ans plus tard, Cimino n’est plus. Thoret décide de reprendre la route et d’aller à la rencontre des réalisateurs, figurants, techniciens ou autres proches du défunt mais également de visiter les lieux de tournage de ses différents long-métrages.

Un large public et certains observateurs se plaisent à penser que les années quatre-vingts s’associent à un cinéma décadent, vide de sens, au regard des produits bodybuildés qui déferlaient sur les écrans à l’époque. Pourtant, de nombreux chefs-d’œuvre ont vu le jour durant cette période mais des chefs-d’œuvre maudits, boudés le plus souvent au box-office et parfois même par la critique. On compte parmi eux notamment Il était une fois en Amérique de Sergio Leone, Blade Runner de Ridley Scott et bien évidemment La porte du paradis de Michael Cimino. Vilipendé par ceux qui l’encensaient peu de temps auparavant, Michael Cimino ne s’est jamais vraiment remis de l’échec de son western singulier. A tel point que l’on évoque tout autant ce naufrage financier que le triomphe de Voyage au bout de l’enfer aux Oscars au moment de parler de la filmographie de Cimino.

Un point de départ d’emblée évident pour structurer ce documentaire signé par l’un des grands spécialistes français de l’Histoire du cinéma. Pourtant, dès l’exposition, Thoret écarte cette facilité d’approche pour mieux s’imprégner de la vision de Cimino à travers le destin de la petite enclave de Mingo dans l’Ohio. Théâtre du tournage de Voyage au bout de l’enfer, la petite bourgade ne s’est jamais remise de la crise de l’industrie métallurgique et de la fermeture de son aciérie. En immergeant le spectateur dans le quotidien de cette ville désœuvrée, Thoret revient aux questions essentielles du cinéma de Cimino, à savoir le devenir des communautés et leur intégration dans une structure beaucoup plus grande. Cimino s’interrogeait ainsi sur l’intégration des minorités ethniques au sein des Etats Unis d’hier et d’aujourd’hui. Thoret adopte une démarche identique en apposant cette interrogation sur l’intégration de villes comme Mingo peu en phase avec cette Amérique contemporaine. Plusieurs portraits touchants dressés à travers quelques entretiens avec des locaux ayant participé de près ou de loin au fameux tournage.

La chute de Mingo symbolise en quelque sorte le déclin du rêve américain. Un rêve américain qui a échappé à Michael Cimino lorsque La porte du paradis s’est attiré les foudres de la critique et du public entraînant la chute du studio de la United Artist. Thoret insère progressivement en sus des entretiens avec les proches du cinéaste disparu, les avis de Quentin Tarantino et surtout d’Oliver Stone qui le côtoya à plusieurs reprises. On passe alors des portraits des habitants de Mingo à celui de Cimino, évoquant un homme entier, attachant mais refusant les compromis quitte à annihiler un projet à sa source quand il n’obtenait pas ce qu’il désirait. Pourtant les caprices reprochés par Oliver Stone méritent d’être tempérés quand on s’attarde sur les trois films majeurs de Cimino. Oliver Stone ne peut point se targuer pour l’instant d’avoir accouché d’une œuvre d’une qualité égale à Voyage au bout de l’enfer, L’année du dragon ou La porte du paradis. Ce dernier long-métrage si conspué à sa sortie fut reconsidéré des années plus tard et hissé au rang des très grands films des années quatre-vingt. Mais le mal était fait et comme le rappelle un intervenant, Cimino s’est considérablement aigri, fermé, après cet épisode.

Mais le metteur en scène conservait aussi bien sa formidable humanité que sa vision ambitieuse (trop aux yeux de certains) comme l’explique le policier qui servit de modèle au personnage de Mickey Rourke dans L’année du dragon. La seule erreur de Cimino pourchasser une conception du cinéma envolée à l’instar du rêve américain. Une conception héritée de son amour pour John Ford (il s’attache comme le maître à peindre des Americana et à magnifier les paysages naturels) mais aussi du savoir-faire de Sam Peckinpah, usant de la même violence viscérale. Cimino refusait d’être comparé à ses contemporains (bien qu’il soit catalogué auteur du Nouvel Hollywood, son style diffère allégrement d’un Coppola, d’un Scorsese ou encore d’un Spielberg). Cimino faisait figure d’Ovni, artiste incompris jusqu’à la fin.

Bâti sur une construction habile, le documentaire de Jean-Baptiste Thoret dépasse la simple déclaration d’amour à un metteur en scène majeur de l’Histoire du cinéma. Michael Cimino, un voyage américain réussit un tour de force  celui aussi bien de refléter les craintes énumérés par le sujet du long-métrage que d’esquisser un tableau des Etats-Unis d’une justesse en adéquation avec l’ambition du maître disparu.

Documentaire de Jean-Baptiste Thoret avec Michael Cimino, Quentin tarantino, Oliver Stone. Durée 2h10. Sortie le 19 janvier 2022.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture