Infernal affair
Octobre 2015. Plusieurs tonnes de cannabis sont saisies par les douanes françaises. Ancien infiltré auprès des services des stups, Hubert Antoine contacte Stéphane Vilner, journaliste à Libération. Il détiendrait apparemment des documents et preuves à même de faire tomber l’un des plus hauts gradés de la police française, Jacques Billard, en charge de la lutte anti-drogue mais qui serait lui-même complice d’un vaste réseau de narcotrafiquants. D’abord sceptique, Vilner commence un reportage lourd de conséquences qui l’entraînera dans les secrets ténébreux de l’Etat français…
Sous un ciel pesant, un homme fait les cents pas, inspecte minutieusement chaque recoin d’une luxueuse villa au bord de la mer. Prêt à exploser à tout moment, il attend fiévreusement un événement qui changera son destin à tout jamais…La scène suivante, plusieurs hors-bords accostent le quai pour décharger de mystérieux containers…mais leur contenu présumé ne laisse présager aucun doute. En quelques minutes, Thierry De Peretti offre un pré-générique de grande qualité, exposant en quelques minutes les éléments à charge d’un célèbre réquisitoire récent…
Pour son troisième long-métrage en qualité de réalisateur, Thierry de Peretti délaisse sa Corse natale pour s’épancher sur l’un des plus gros scandales de ces dernières années, qui éclaboussa les plus hautes sphères judiciaires françaises, pointant les connivences établies entre un gros bonnet du milieu et certains dirigeants de la police française. Ce scandale fit la une du journal Libération, le quotidien stigmatisant le numéro d’équilibriste un poil cynique des forces de l’ordre plus enclines à obtenir des résultats qu’à respecter l’état de droit qu’elles sont censées sauvegarder. Quant aux accusations de prévarication à l’encontre d’un des membres éminents de la police renommé ici Jacques Billard, elles donnent prétexte à un superbe jeu de dupes, de manipulations psychologiques ou comment l’infiltration des esprits prévaut sur celle des agents de terrain.
Car très vite, Thierry De Peretti dévoile ses intentions. Le but d’Enquête sur un scandale d’état n’est pas de revenir une énième fois sur les faits ou sur leur nature ni même d’enclencher une énième investigation proche du docu-fiction. Le cinéaste préfère s’attacher aux relations troubles qui lient aussi bien Hubert et Stéphane qu’Hubert et Jacques. Objectif, comprendre comment chacun peut pénétrer l’esprit de l’un ou de l’autre, le remodeler à sa convenance ou bien le guider vers sa propre vérité. Un exercice dans lequel Jacques est passé maître et fait montre de son savoir faire devant une assemblée de journalistes et de magistrats conquis par le charisme et la roublardise du bonhomme.
Tout du long, le metteur en scène articule sa narration entre séances de réflexion au siège du journal et entretiens entre indic et journaliste autour des preuves et des faits avérés ou non. Durant ces instants, De Peretti peine parfois à hisser le niveau de sa scène comme le réussissait Michael Mann jadis sur Révélations. Il existe ainsi dans Enquête sur un scandale d’état une certaine frilosité dans sa peinture du réel lors des assemblées justement dans les bureaux du quotidien. En revanche le savoir faire du réalisateur se confirme lorsqu’il décortique les rouages entropiques qui entravent aussi bien le rétablissement de la vérité que le fonctionnement équitable d’un système judiciaire en roue libre. Thierry de Peretti égratigne alors tout le monde journalistes, indics, magistrats, policiers ou gangsters quelque soient leur rang ; tous coupables de faiblesse, de cupidité ou tout simplement d’aveuglement à l’image d’un procès en porte-à faux, témoin d’une situation ubuesque.
Pour incarner ces personnages incandescents, De Peretti peut compter sur le vétéran Vincent Lindon en filou de haut vol et surtout sur un Roschdy Zem encore une fois au sommet. Digne de certaines figures de film noir d’antan, l’interprète d’Hubert rappelle par sa prestation une figure comme Ralph Meeker dans En quatrième vitesse de Robert Aldrich. Volcanique, désorganisé, désespéré par moments, Hubert fonctionne à l’énergie, à l’agressivité refoulée pour mieux repartir au combat. Un caractère qui n’aurait donc sans doute pas déplu à Robert Aldrich, Howard Hawks ou John Huston ! Tout le contraire malheureusement d’un Pio Marmaï très en deçà du niveau de ses deux partenaires, trop lisse pour souligner les nuances qu’implique son rôle…
Précis dans sa démonstration des défaillances petites ou grandes qui conduisent à la catastrophe, Enquête sur un scandale d’état désarçonne agréablement par son approche naturaliste pour mieux souligner grandeur et surtout décadence de l’être humain, malgré de menues imperfections. Quant à Roschdy Zem, impeccable dans la peau d’Hubert Antoine, il expose à lui seul ce constat doux amer d’inertie qui plombe les bonnes intentions initiales d’un système pour le plonger dans les abysses.
Film français de Thierry de Peretti avec Rocshdy Zem, Vincent Lindon, Pio Marmaï. Durée 2h03. Sortie le 9 février 2022