Introduction

Conte d’hiver

Sa petite amie partie étudier à Berlin, Youngho se remet en question et profite de l’occasion pour rendre visite à son père qu’il n’a pas vu depuis des années. Tandis qu’il patiente dans son cabinet, il croise un célèbre acteur de théâtre. Une rencontre fortuite qui  le guidera vers une nouvelle vocation…

Seule sur la plage, une jeune femme contemple la mer, le reflux des vagues et l’horizon. Un jeune homme la rejoint quelques instants plus tard. On comprend qu’ils se sont jadis aimés. La jeune femme, Juwon lui apprend qu’elle souffre d’un mal incurable et qu’elle regrette de l’avoir quitté quelques années auparavant. Une scène qui témoigne plus que jamais de l’incroyable limpidité de l’art d’Hong-Sang-Soo, sa capacité inhérente à extraire l’émotion dans un océan d’austérité. Une scène qui renvoie à la conclusion de Seule sur la plage la nuit, son film charnière tourné en 2017 mais également aux premiers instants de Conte d’été d’Eric Rohmer, cinéaste qui a influencé fortement son œuvre à l’origine. Ici, Mi-So Park se joint aux interrogations solitaires de Kim-Min Hee mais également à celles de Melvil Poupaud autrefois. La même mélancolie, les mêmes incertitudes les animent, est on seul à être seul alors qu’un avenir sombre avenir se profile pour les uns ou que le poids d’un passé récent hante les autres. Puis après un cut fort bien amené, tout s’évanouit, comme un rêve, une chimère qui aura effacé l’espace d’un instant cette fois les doutes de Youngho, le plaçant durant une brève conversation en sauveur déterminé lui l’éternel indécis.

Le cinéma sud-coréen (mais également son paysage télévisuel) s’est imposé en quelque sorte comme le digne successeur du cinéma de série B des grandes heures hollywoodiennes, économe en moyens superfétatoires, inventif sur le fond et surtout sur la forme. Nanti de budgets dérisoires, le cinéma de genre du pays du Matin Calme s’est forgé une solide réputation via des auteurs tels que Park-Chan Wook et évidemment Bong-Joon Ho. Du côté des dramas, le travail de Kim-Ki-Duk fut l’un des premiers à être récompensé, ouvrant la voie à Hong-Sang-Soo… Récompensé au Festival de Berlin à la fois pour La femme qui s’est enfuie et pour Introduction, Hong-Sang Soo s’affirme comme le stakhanoviste de la profession, ressassant les mêmes thématiques (certains diront jusqu’à plus soif) mais régénérant sa mise en scène à chaque fois par de délicieux artifices. Court-métrage à l’origine, Introduction devient un champ d’expérimentations mais également de remise en question pour le réalisateur tant sa mise en scène n’a jamais paru aussi épurée, au seul service de la forme plutôt que du fond, vidant de son essence le principe même d’un long-métrage. Pourtant cette impression douloureuse se dissipe peu à peu quand on discerne derrière un épais brouillard les velléités d’un homme effrayé par les enjeux du futur.

Le choix du trouble oculaire dans la scène évoquée précédemment n’a rien de fortuit. Bien le plus précieux d’un metteur en scène, le regard fait l’objet de toutes les attentions pour ne pas sombrer dans les travers les plus courants, pour ne point devenir aveugle en quelque sorte. J’ai souvent parlé dans ces colonnes de la facilité pour Hong-Sang Soo à se réinventer grâce à des procédés lumineux. Mais depuis Seul sur la plage la nuit se réinventer ne lui suffit plus, il veut avancer en écartant moult hésitations, les regrets, l’inconnu du lendemain. A l’image de leur créateur, Youngho et Juwon déambulent dans les tréfonds de leurs esprits, à la recherche d’un but, d’un sens qui les extirperaient de leur errance perpétuelle, de leurs mensonges pour ne pas regarder l’évidence, la vérité. Au cœur des nombreux plans-séquence qui articulent les différents dialogues, Hong-Sang Soo manie habilement sa caméra, sa profondeur de champ, mais également son cadre pour une suggestion servie par des astuces visuelles plus originales que les traditionnels champ-contrechamp. Le visage jamais totalement révélée d’une peintre d’âge mûr participe à cette éternelle recherche formelle qui singularise le sud-coréen, y compris parmi ses compatriotes. Dans cette optique, il n’hésite pas à éclater sa structure narrative, refuse une construction linéaire pour mieux souligner la valse hésitante de ses personnages.

Quant à Dionysos, il a depuis longtemps délaissé les festins qui tissaient les liens des protagonistes, insufflaient joie et espoir. L’amertume s’impose en plat principal et les rancœurs larvées se  mutent soudainement en colère froide. Dernier moment d’échanges policés, affables, la pause cigarette durant laquelle on partage encore un peu d’intimité. Des instants qui surviennent après l’attente de Godot, d’un père qui s’assoupit dans son bureau, d’une petite amie qui ne reviendra pas, d’un acteur qui n’en sera peut être jamais un. Il faut savourer alors une dernière étreinte ou une baignade habillée comme les seuls trésors d’une existence monotone. Ou comment retrouver la fraîcheur, l’innocence d’une jeunesse en fuite avec son insouciance mais aussi sa légèreté.

Avec Introduction, Hong-Sang Soo rebutera toujours un peu plus le public, ses choix minimalistes, la simplicité apparente de son récit induisent inévitablement un ennui profond chez le profane. Pourtant, le cinéaste reprend avec conviction et désinvolture les rênes de son destin quitte à se méprendre, pour ne plus tergiverser, pour rester maître de son art. Un acte louable et courageux. Certains crieront à l’imposture manifeste. Les autres apprécieront un talent original et pérenne, incompris en dehors des standards en vigueur !

Film sud-coréen d’Hong-Sang Soo avec Shin Seokho, Mi-So Park, Kim Young-Ho. Durée 1h06. Sortie le 2 février 2022.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture