– Maman, Je suis obligé de vous dire…
– Quoi ?
– Vous avez vraiment une sale gueule ce soir…
– Je crois bien, mon petit Maurice, que j’ai très envie de t’étrangler…
– M’étrangler ? Me tuer ?… Vous m’avez condamné à perpétuité, maman, pas à mort. C’est gluant la mort, maman, vous le savez bien. Ça sent mauvais et c’est terriblement définitif…
– Précisément, Maurice… Ton éternité me pèse…
– Voulez-vous un doigt de Porto, maman ?
– Du whisky plutôt. Il me faut ça pour supporter ton babillage.
– Tenez maman… Vous ne croyez pas que vous êtes un peu trop dure avec moi ?
– Mmm, il est bon… J’ai toujours voulu te préparer à la vie, tu vois. Alors je t’ai élevé durement. Pour te permettre de résister. Mais tu étais un vilain petit diable.
– Je le suis toujours, maman, vous savez.
– C’est pour ça que j’ai souvent eu envie de te tuer, Maurice. Comme la fois où tu avais dix ans et que tu es tombé dans la rivière, dans les Cévennes. Tu te rappelles ?
– Je n’ai jamais oublié, Maman. Vous m’avez laissé dans l’eau, vous n’êtes pas venu me chercher…
– Bouh… Tu as nagé et tu es arrivé au bord. Je t’ai même séché avec ma veste. Tu ressemblais au Zébulon du dessin animé, en train de faire des tours sur toi-même…
-Vous auriez fait quoi si je m’étais noyé ?
– Rien. Cela voulait alors dire que tu n’en valais pas la peine.
– Je vois.
– Mmm, il est vraiment bon ce whisky… Je crois que j’ai eu envie de te tuer dès ta naissance.
– Pourquoi maman ?
– D’abord parce que tu étais un garçon. J’aurais voulu une fille, je l’aurais appelé Rachel tiens. J’ai toujours aimé ce prénom.
-Vous avez pourtant détesté ma Rachel. Vous vous rappelez d’elle ?
– Très bien. C’était qu’une arabe, elle t’a apporté que des problèmes !
– Je l’aimais Maman.
– Oui mais elle n’était pas assez bien pour toi. Et tu étais trop jeune… De toute façon, elle est dans l’autre monde maintenant.
– Grâce à vous, maman.
– Il fallait bien que je t’apprenne à tuer. Qu’allais-tu faire de ta vie sinon ? Travailler, quelle idée saugrenue !
– Je pense toujours à elle quand je descends dans le cellier…
– Il n’y a plus que des os maintenant… Vraiment bon ce whisky… Ressers-moi, tu veux.
– Voilà, maman… J’ai tué une bonne cinquantaine de personnes dans ma vie vous savez.
– Maurice, tu t’es toujours arrêté aux chiffres. C’est petit et mesquin comme façon de penser. Moi, je n’ai jamais compté mes victimes. Dis-toi que nos commanditaires ont toujours une bonne raison de nous payer pour tuer.
– C’est vrai mais quelle vie, tout de même…
– Au moins Maurice, tu gagnes bien ta vie. Tu t’es même marié et tu as un fils.
– Oui mais je ne les vois ni lui, ni sa mère, vous savez, avec l’ordonnance du juge…
– C’est peut-être mieux ainsi, Maurice. Le petit a une chance d’être différent de toi.
– Et de vous, maman.
– Ah ! j’espère qu’il me ressemblera, tu vois. Qu’il aura ma force de caractère.
– Pas moi, maman.
– Tu ne bois pas Maurice ?
– Je me suis servi du Porto.
– Ah oui ? Tu n’en bois jamais pourtant.
– Les goûts changent. Est-ce à cause de mon père que vous avez envie de me tuer maman ? Est-ce que je lui ressemble ?
– Ah ce vieux bougre ! Il était bête. Beau mais bête à en pleurer. Au moins savait-il s’y prendre au lit.
– Vous l’avez tué ?
– Bien sûr, Maurice ! Dès que j’ai su que j’étais enceinte. Je ne lui ai pas pardonné.
– Vous auriez pu avorter.
– Oui mais là, tu sais, on n’échappe jamais complètement à son éducation et j’ai été trop longtemps à l’école des curés. J’aurais voulu mais je n’ai jamais pu m’y résoudre. C’est bête, hein ?
– Vous êtes pâle maman.
– C’est à cause de toi Maurice. Tu me fais remuer le passé, ça me secoue un peu.
– Des regrets ?
– Non. Je me dis juste que je suis vieille, trop vieille désormais. Et toi, quand je t’ai fait tuer Rachel, qu’as-tu ressenti ? Je te revois serrer les maxillaires en lui tranchant la gorge.
– J’en rêve certaines nuits, maman.
– Tu as toujours été trop sentimental, Maurice. Ça vient certainement de ton père.
– J’aurais vraiment aimé le connaître.
– Un homme ne sert à rien pour élever un enfant, tu sais. En plus, ils donnent le mauvais exemple, surtout à un garçon. Déjà que tu n’étais pas un perdreau de l’année… Fais pas cette tête, j’ai toujours été franche, tu me connais.
– Je sais, maman.
– J’ai mal à la tête, là…
– Normal maman, j’ai mis du poison dans votre whisky. Et une sacrée dose : il ne vous reste plus beaucoup de temps.
– Quoi ? Maurice, tu plaisantes ?
– Pas du tout maman. Pourquoi souriez-vous ?
– Je crois que je suis fière de toi, Maurice. C’est la première fois que ça m’arrive !
Sylvain Bonnet