Elle n’aurait jamais cru que ça lui arriverait… on la conduit avec délicatesse sur un plateau et on lui accroche un micro en haut de son pull vert.
– C’est à vous.
Louise sourit mécaniquement. Elle fait face à un présentateur qui lui renvoie un sourire éclatant de blancheur, dévoilant une dentition digne d’un prédateur :
– C’est l’histoire du jour, annonce-t-il d’une voix suave, voici une tenancière de bar qui sauve un policier de la noyade. Bonjour Louise !
– Au revoir, euh je veux dire bonjour.
– Vous habitez dans le treizième et tenez bar « le coin des copains » c’est bien ça ?
Louise hoche la tête, toujours souriante. Elle est heureuse de passer à la télévision, surtout au journal qu’elle regarde tous les jours.
– Hier matin, vous ouvrez votre bar, comme tous les jours. Puis vous voyez arriver deux hommes qui s’assoient à votre comptoir et vous commandent un demi, c’est bien ça ?
– Non, je veux dire oui.
Le présentateur hausse un sourcil tandis que Louise s’efforce toujours de sourire.
– Vous reconnaissez alors deux policiers qui ont enquêté sur une affaire qui avait ensanglanté le voisinage de votre bar l’année précédente, c’est bien ça ?
Louise hoche la tête. En février dernier, un magasin d’art situé près de son bar s’était fait mitrailler par une bande un soir de semaine. Louise et ses habitués s’étaient alors jetés au sol, de peur de se prendre une balle perdue. La police était venue et l’un des truands s’était alors réfugié dans le bar. Deux flics l’avaient alors persuadé de se rendre, les deux mêmes qui sont venus hier.
– Malgré l’heure matinale, vous leur offrez la bière ?
– Oui, dans ma baraque, je veux dire dans mon bar, je suis la patronne et j’ai bien le droit de payer un verre à des gens qui m’ont donné un coup de main, non ?
– Mais ils sont déjà passablement éméchés, c’est ça ?
Louise hoche la tête. Elle se souvient du plus grand, un blond dégarni en blouson de cuir. Il puait littéralement l’alcool à trois mètres.
– Je les connais, je sais qu’ils font souvent la tournée des bars la nuit. Après tout, ils font un métier difficile, je comprends qu’ils aient besoin de décompresser.
Le présentateur hoche la tête, touché de cette sympathie si prononcée pour les forces de l’ordre.
– A ce moment-là, l’un d’entre eux va aux toilettes. Au bout d’un moment, vous constatez qu’il met du temps à revenir.
– Non, je veux dire oui.
Le présentateur essaie de cacher son air dubitatif.
– Et vous allez voir ce qu’il fait aux toilettes.
Elle hoche la tête, sourit en pensant à ce moment.
– Et que découvrez-vous ?
– Rien, enfin je veux dire que l’une des portes des WC est ouverte et je découvre mon policier la tête dans le gogue. Je me penche vers lui et là je vois qu’il s’étouffe dans son vomi.
– Que faites-vous ?
Louise fait la dégoûtée, se souvenant de l’odeur.
– Je lui relève la tête pour qu’il respire. Ce qu’il fait. Il parle d’une femme qui lui manque, un prénom arabe… je ne comprends pas tout…
Le présentateur sourit. Il reste moins d’une minute au prompteur.
– Vous lui avez sauvé la vie si ça se trouve. Et ensuite ?
– Je l’aide à se débarbouiller dans le lavabo. On va pour sortir mais, arrivés à la porte, on entend du bruit, des gens. J’entrouvre la porte et les voit derrière le bar en train de chercher la caisse. Ils ont assommé l’autre flic, il ne tenait pas la forme, je dois dire.
– Et que fait votre policier saoul ?
– Ben il n’est plus saoul du tout. Il sort son arme et se précipite vers ma baraque, je veux dire mon bar. Ils sont deux hommes, l’un tient son collègue, l’autre cherche ma caisse. Il a un air qui leur fait peur et ils se rendent tout de suite.
Le présentateur sourit.
– Voilà c’était l’histoire insolite du jour : celle d’une tenancière de bistro qui sauve un policier et qui, ensuite, la sauve d’un braquage. Merci, Louise.
Elle sourit. On ne s’ennuie jamais avec un client comme Miller.
Sylvain Bonnet