The Batman

Kiss me deadly

 

Gotham City, une mégalopole américaine gangrénée par la violence, la drogue et la corruption. Depuis deux ans, un justicier, The Batman, sillonne les rues lors de virées nocturnes et emploie une force souvent excessive pour faire régner l’ordre. Dans sa croisade motivée par la vengeance, il reçoit le soutien du majordome de son alter ego et d’un lieutenant chevronné de la police. L’irruption d’un tueur en série remet en cause ses convictions ; le mystérieux Riddler, criminel ingénieux commence à exécuter plusieurs notables et fonctionnaires importants de la ville. Pour l’arrêter, The Batman va devoir non seulement se confronter aux pires horreurs qui hantent la cité mais aussi s’entretenir avec d’autres figures ténébreuses, quitte à pactiser avec le diable…

L’annonce de cette nouvelle version des aventures du chevalier noir a divisé bon nombre de fans mais également d’observateurs. Le « reboot » de trop pour certains, un chef-d’œuvre à venir pour d’autres et un désastre imminent pour le reste. Le choix de Robert Pattinson pour incarner le « caped crusader » a également suscité des réactions d’une rare virulence. Pourtant, quand la majeure partie du public résume l’acteur à sa présence dans Twillight, il écarte ses autres faits d’armes, remarquables, qui lui ont attiré les faveurs de certains grands cinéastes d’hier et d’aujourd’hui. Les frères Safdie, David Cronenberg, James Gray et même récemment Bong Joon-Ho. Robert Pattinson n’en déplaise à ses détracteurs est peut être l’acteur le plus doué de sa génération aux côtés d’un autre mal aimé…Adam Driver. Peut être que The Batman redorera son blason auprès des sceptiques, à raison, tant son interprétation du vigilante détonne durant toute la durée du long-métrage. Une durée d’ailleurs beaucoup trop importante, qui entache le résultat final. Matt Reeves n’accouche pas du chef-d’œuvre tant espéré… ni de la purge prédite par les médisants. The Batman dans ses meilleurs moments se pose en revanche en véritable alternative crédible aux travaux de Tim Burton et de Christopher Nolan…tout en les prolongeant naturellement.

Le cinéaste révélé par Cloverfield, avait surtout démontré des qualités fortes intéressantes sur ses deux opus consacrés à La planète des singes. Ici, il fait preuve non pas de virtuosité mais plutôt d’un classicisme éprouvé à l’opposé d’une illustration outrancière et des effets superflus, marque de fabrique de Todd Phillips sur Joker ou de Zack Snyder…En outre, il délaisse les numéros de voltige aérienne de ses prédécesseurs sauf lorsqu’il survole brièvement une ville en proie à l’anarchie. Car The Batman se pose en film éminemment politique mais censé, structuré et sans doute beaucoup subtil que l’essai de Todd Philips. Derrière l’anarchie, l’envers d’un décor crapuleux, se dévoile une porte de salut, après avoir traversé le couloir de l’enfer.

Si Matt Reeves ne s’en remet pas au récit des origines, maintes fois vus à l’écran, il présente en revanche un récit en partie initiatique à l’instar de Burton et surtout de Nolan. Mais ici ce parcours ou plutôt ce chemin de croix se juxtapose à une enquête menée méticuleusement, parsemée par des éclairs de violence sourde. Dans le face à face opposant son protagoniste avec un serial killer brillantissime, Matt Reeves applique la leçon, celle de David Fincher mais également de Michael Mann. Sa vision urbaine et sa mise en scène de la traque rappelle celle du réalisateur de Heat (entretenant l’héritage de Nolan) et de Manhunter. Mais l’attitude du justicier, son comportement, ses hésitations en font le digne successeur des gueules du film noir d’antan. Zoé Kravitz femme fatale et Bruce Wayne/Batman n’auraient pas dépareillé notamment dans Kiss me deadly/En quatrième vitesse d’un certain Robert Aldritch. Quant à la gestion de la violence, Matt Reeves applique une méthode bien plus efficace que les effusions vulgaires de certains confrères ou au contraire l’ignorance en forme d’indifférence adoptée par les autres. Matt Reeves se souvient de la puissance de la suggestion sans jamais écarter les conséquences à l’écran, à l’instar d’un certain Anthony Mann. Lors d’une terrible exécution, le souffle de l’explosion qui emporte le spectateur impuissant impressionne bien plus que si le cinéaste avait exposé les viscères de la victime.

Mais, au-delà de ces connotations positives, Matt Reeves affirme son savoir-faire, acquis lors de son passage dans la franchise de la Planète des singes, lorsqu’il associe l’homme à l’animal ou à un alter égo mystérieux, via des métaphores visuelles ou cryptiques judicieuses. Pour Matt Reeves, chacun doit assumer sa partie animale ou asociale pour mieux renaître de ces cendres. The Batman se transformera en Batman…

En perpétuant le legs de ses aînés, en déclinant le parti pris facile opté par ses confrères ces derniers temps, Matt Reeves récite une leçon, pas toujours maîtrisée dans sa gestion de la temporalité mais parfaitement digérée sur le fond et en partie sur la forme. The Batman entrevoit la portée sociale de son action sans verser ni dans le manichéisme, ni dans le mauvais discours moralisateur. Un film efficace dans sa fonction, parfois amer, souvent poisseux mais qui laisse entrevoir un côté lumineux inenvisageable au départ. L’espoir surgissant des ténèbres…

Film américain de Matt Reeves avec Robert Pattinson, Zoë Kravitz, Paul dano. Durée 2h56. Sortie le 2 mars 2022

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture