Freak Show
L’ascension d’Elvis Presley, icône légendaire du rock’n roll, évoquée à travers la relation singulière entre le chanteur et son impresario, l’énigmatique Colonel Tom Parker.
On avait quitté Baz Luhrmann il y a près de dix ans suite à son adaptation de l’œuvre mythique de Scott Fitzgerald, Gatsby le magnifique. Malgré une volonté de bien faire évidente du cinéaste, le long-métrage souffrait des défauts récurrents présents dans sa mise en scène, un art truffé d’effets grandiloquents, d’artifices superfétatoires censés provoquer une émotion somme toute factice chez le spectateur. Friand de fresques romanesques, le réalisateur ne possède en revanche ni la vision d’un David Lean ou encore moins de la finesse d’un Douglas Sirk pour assumer ses folles ambitions mélodramatiques. Sitôt les paillettes évanouies, ses différents films se retrouvent exsangues d’une véritable substance. Pourtant, Luhrmann fait preuve d’un véritable amour pour son métier et un réel univers, ampoulé à défaut d’être flamboyant, se dégage de chacune de ses réalisations. En attente d’une véritable maturité ?
C’est pourquoi, pour son retour derrière la caméra, Baz Lhurmann choisit de s’attaquer au biopic du mythe Elvis Presley, biopic sans doute propice à ses extravagances, à ses obsessions plutôt qu’à un virage salutaire vers l’âge adulte. Or, s’il se lance une nouvelle fois à corps perdu dans un spectacle son et lumières au montage frénétique parfois agaçant, le metteur en scène va progressivement afficher des qualités à peine entrevues jusqu’alors.
Icône mondiale dont le legs artistique mais également marketing perdure encore aujourd’hui, Elvis Presley connut une carrière très vite auréolée d’un succès sans précédent pour l’époque, alliant les qualités de la country et du rythm and blues. En effet, encore adolescent, élevé dans un quartier pauvre de Memphis, il s’imprégna de la culture musicale afro-américaine et allait donc par la suite y puiser son inspiration. Un fait d’ailleurs fort bien relaté par Baz Luhrmann durant l’intégralité du long-métrage, tout comme son ascension fulgurante vers les sommets, sa chute et son retour en grâce, sa générosité sur scène et bien sûr ses failles.
Durant ces moments construits autour de la gloire et de la décadence d’Elvis, bien campé par Austin Butler, Baz Luhrmann déploie son habituel dispositif ostentatoire, trop souvent illustratif, dépourvu de la nuance nécessaire. On se dit alors que le cinéaste n’a toujours point progressé. Il s’évertue à user des mêmes procédés afin de conter une énième passion destructrice, ici celle entretenue par Elvis et ses fans, et l’incapacité des protagonistes à se détacher des relations toxiques ou des entraves qui nuisent à leur épanouissement. Elvis comme Captain Marvel jr désire atteindre les cimes du rock of eternity (en référence au comic book qui faisait fureur dans les années cinquante) et Luhrmann décrit ses aventures via des vignettes bien réelles filmées en split screen (méthode très prisée dans les années soixante-dix). Cependant, une approche judicieuse pointe à l’horizon dès le début du long-métrage et atténue grandement ce constat décevant.
En effet, en adoptant une narration via le regard du Colonel Tom Parker, Luhrmann use habilement de cette focalisation zéro pour recentrer les enjeux de son biopic, les arnaques de l’impresario escroc s’enchaînent au même rythme que les concerts de l’idole. En présentant d’ailleurs Elvis comme une attraction de fête foraine (milieu dont Parker est issu), le réalisateur distille le malaise, faisant du chanteur une victime non seulement en raison des agissements de l’impresario mais également de la pression permanente du public. Ici, comme expliqué dans la première scène, show must go on, jusqu’à l’épuisement. Dans un rôle à contre-emploi, Tom Hanks en Tom Parker séduit sous les traits d’un profiteur mal aimable, rusé et par certains côtés, attachant.
En outre, Baz Luhrmann profite de chaque occasion pour mêler l’histoire d’Elvis à l’Histoire tout court, aux bouleversements sociétaux qui jalonnent la période, les drames qui se succèdent, la lutte éreintante contre les inégalités et l’obscurantisme. Unique moyen d’expression pour le King en ces temps troublés, la musique…
Jamais avare en démonstrations superflues voire grossières, Elvis regorge en son sein tous les défauts des produits façonnés habituellement par Baz Luhrmann. Pourtant, pour la première fois de sa carrière, le metteur en scène s’affranchit de ses limites personnelles pour délivrer une fable romanesque plus sincère qu’à son accoutumée.
Film américain de Baz Luhrmann avec Austin Butler, Tom Hanks, Olivia De Jonge. Durée 2h39. Sortie le 22 juin 2022