Hollywood ne répond plus, la fin de l’âge d’or du cinéma américain

Voici la publication en poche d’un ouvrage d’Olivier Rajchman, journaliste et critique de cinéma, consacré à un tournage infernal, celui de Cléopâtre, et à la fin d’une époque bénie pour beaucoup de cinéphiles, celui des studios hollywoodiens. Car dans la première moitié des années 60, le cinéma américain change très vite.

Un système à bout de souffle

Des années trente aux années cinquante, le cinéma américain est celui des grands studios (MGM, Warner, Fox, RKO, Columbia, Universal) qui produisent des films diffusés ensuite dans des réseaux de salles qui leur appartiennent. Chaque studio a ses spécialités (Warner a le film noir, Columbia les comédies, etc…). Ce système entre en crise dans les années cinquante lorsque les studios sont obligés de céder leurs réseaux de salles et font face à la concurrence de la télévision. D’où une surenchère de superproductions, généralement en cinémascope, devant ramener les spectateurs dans les salles obscures : Les dix commandements, Ben-Hur… et Cléopâtre.

Le tombeau de Joe Mankiewicz

Mankiewicz fut certainement un des plus grands cinéastes américains. Frère (jaloux) du coscénariste de Citizen Kane, il a tourné certains des plus grands films de l’époque : Chaînes conjugales, Eve, La comtesse aux pieds nus. Il connaît aussi très bien Hollywood où il a été dialoguiste, scénariste, producteur et enfin réalisateur. C’est un choix étrange que fait la Fox, dirigé par Skouras, d’aller le chercher pour sauver Cléopâtre, à ce moment-là dirigé par Rouben Mamoulian, du désastre. Mais Mankiewicz est un grand directeur d’acteurs et d’actrices, il a la confiance de Liz Taylor, l’interprète principale et il est toujours l’un des meilleurs scénaristes en activité. Mankiewicz va alors tout reprendre, engager Rex Harrison et Richard Burton et recommencer le tournage à Rome. Les coûts deviennent alors astronomiques…

D’autres acteurs du drame…

Un des grands intérêts de l’ouvrage est de nous offrir une vision panoramique d’Hollywood. Au même moment, Marylin Monroe, star de la Fox, sombre petit à petit dans la dépression, victime de ses addictions et aussi de certains hommes comme les Kennedy. Elle commence le tournage d’un film avant de s’en faire renvoyer : trop de retards, de doutes, d’absences… Darryl Zanuck, ancien patron du studio, commence de son côté à tourner une superproduction en Europe, Le jour le plus long avec une distribution all stars incluant John Wayne, Henry Fonda, Mitchum et Bourvil (!). Ce sera au final un triomphe mais la Fox a désormais deux projets pharaoniques à gérer en même temps. Les financiers s’impatientent…

Un film historique

Contre toute attente, Mankiewicz terminera son film (après avoir été renvoyé, puis rengagé par Zanuck redevenu patron du studio).  Le montage sera par contre refait après des projections tests désastreuses. Mankiewicz voulait deux films, ce sera finalement un film de trois heures vingt que le public, fasciné par la romance Taylor-Burton (quelle histoire !) ira voir en masse. Historique par son budget, par ses stars, Cléopâtre marque aussi le début de la fin pour Mankiewicz. Il ne tournera plus que quatre films, se détournant ostensiblement de ce qui fut son inspiration, c’est-à-dire les femmes et surtout les actrices. Le cinéma américain perdit alors un de ses meilleurs représentants. Cet excellent livre fait revivre une époque perdue qui fait presque figure d’âge d’or lorsqu’on voir certains films contemporains. Lisez ce livre et ensuite faites un cycle Mankiewicz. Cet homme et cette œuvre méritent d’être redécouverts.

Sylvain Bonnet

Olivier Rajchman, Hollywood ne répond plus, préface d’Alex Mankiewicz, Perrin « Tempus », août 2022, 480 pages, 9 euros

About Sylvain Bonnet

Spécialiste en romans noirs et ouvrages d'Histoire, auteur de nouvelles et collaborateur de Boojum et ActuSF.