The Host

Pour son troisième long-métrage, le réalisateur de Parasite, Bong Joon-Hoo réussit un coup de maître avec son film de monstre The Host en revenant aux racines politiques du kaiju eiga.

Les égouts de la peur

 

Gang-Du tient une échoppe alimentaire aux côtés de son père et de sa fille Hyun-Seo. Son frère, diplômé universitaire, peine quant à lui à trouver du travail tandis que sa sœur échoue dans sa quête de championne nationale lors d’une épreuve de tir à l’arc. La vie de cette famille insolite va bientôt être bouleversée quand une créature cauchemardesque sème la terreur dans la ville et capture Hyun-Seo. Une course contre la montre commence…

Alors qu’une foule en panique tente d’échapper aux griffes (ou aux tentacules) d’un monstre surgi de nulle part, un père lâche la main de sa fille par erreur. Cette dernière est emportée par la bête. En quelques secondes, montage époustouflant à la clé, Bong Jong-Hoo pose les bases du drame à venir. La poésie qui émerge du chaos, l’humour qui se mélange à l’effroi, le cynisme qui côtoie l’espoir d’un avenir meilleur sont autant de traits qui traversent les vingt minutes d’exposition parfaitement maîtrisées par le cinéaste sud-coréen.

Aujourd’hui on pourrait parler de savoir-faire usuel pour Bong-Joon Ho. Mais en 2006, année de sortie de The Host, le prodige devait encore prouver toutes les qualités entrevues à l’occasion de son deuxième long-métrage, l’impressionnant Memories of Murder. Or, avec son keiju eiga version coréenne, il ne confirmera pas seulement son talent immense, il se posera comme un auteur incontournable du vingt et unième siècle. Et surtout The Host permettra au metteur en scène d’assembler toutes les pièces de son puzzle cinématographique que l’on retrouvera par la suite dans Mother, Okja, Snowpiercer et Parasite.

 

Loser’s Family

L’affection du réalisateur pour les familles hétérogènes, les perdants ou les simples d’esprit ne date point de Parasite. Memories of Murder avait déjà ouvert la porte à des protagonistes de la sorte et The Host va les implanter définitivement ans l’univers singulier de Bong Joon Ho. Sans s’ériger en juge et emblème d’une morale absolue, Bong Joon Ho aime cependant placer ses personnages en face de leurs responsabilités, évoque les vertus de l’innocence et leur montre le chemin de la rédemption. Au préalable, ils devront forcer leur destin même s’ils doivent renoncer à ce qui leur est cher.

Et pour les introduire ou pour les valoriser, le cinéaste ne s’embarrasse pas de fioritures ou de palabres superflues. Seules importent la mise en scène et la direction d’acteur (avec une grande performance de Song Kang-Ho). On saisit ainsi dès les premières minutes les caractères de chacun et de chacune, leurs failles et leurs obsessions. Gang Du endormi sur son stand, sa sœur échouant en prenant les secondes de trop à l’épreuve de tir à l’arc, sa fille Hyun Seo bien trop éveillée, la maladresse et le courage des uns et des autres sont autant d’éléments présentés avec sobriété et élégance. Puis quand les hostilités débutent le décor et les enjeux implantés, The Host dévoile son dispositif à l’ambition aussi monstrueuse que la créature dévorant tout sur son passage.

 

 

Monstre hybride

Plus qu’un exercice jubilatoire, The Host tout comme Memories of Murder propose une réflexion profonde sur le monde qui nous entoure et sur la Corée du Sud si chère à Bong Joon-Ho. À l’image d’un Stanley Kubrick, le réalisateur se sert du film de genre comme une façade afin de traiter de sujets brûlants, sociaux ou politiques et de regarder notre environnement à travers le prisme de sa caméra. Et avec The Host, Bong Joon Ho n’hésite pas à égratigner tout un système et surtout la diplomatie américaine de l’époque, empêtrée dans le scandale des armes chimiques inexistantes en Irak, prétexte pour dissimuler petits arrangements et erreurs dramatiques. En outre, il tirait déjà l’alarme sur les conséquences des actions irresponsables de l’Homme avec une finesse que peu ont égalé depuis.

Or, force est de constater que cette fable fonctionne principalement grâce à la valse des genres qui anime le long-métrage, déstabilisant le public et qui participe de fait au processus émotionnel dans son ensemble. Le film passe de l’horreur au burlesque, du pamphlet au mélodramatique avec une aisance et une cohérence de ton sans faille. La peur, les rires et les larmes s’emparent successivement du spectateur, le laissant pantois, abasourdi et subjugué par le balet grandiose qui se déroule sous ses yeux. Comment ne pas être touché par le dernier hommage d’un fils à son père lorsque Gang-Du recouvre d’une simple feuille de journal le visage de son géniteur éteint ? Et surtout est-il possible de rester insensible face au combat livré par les uns et les autres pour la survie de l’une des leurs, la meilleure d’entre eux qui plus est ?

 

Délivrance

Ancien étudiant en sociologie, Bong Joon-Ho est obsédé par la notion de survie dans son œuvre, bien plus encore que par la lutte des classes apparente dans bon nombre de ses longs-métrages. Et en se concentrant sur cette préoccupation, il s’interroge le plus souvent sur ce que l’on est prêt à sacrifier, quels principes va-t-on bafouer au nom de la sacro-sainte survie ? L’histoire de Chris Evans dans Snowpiercer illustre parfaitement ce questionnement (son personnage n’a renoncé qu’au dernier moment à dévorer vivant un bébé).

Dans The Host la survie se joue à plusieurs niveaux tandis que les perdants d’hier se transforment en héros du jour afin de sauver ce qui peut encore l’être. Mais pour parvenir à leurs fins, ils devront sortir victorieux d’une lutte désespérée symbolisée par la scène glaçante de l’évasion de Hyun-Seo. Quelques secondes durant lesquelles le temps suspend son cours alors que l’ombre de l’Alien de Ridley Scott plane sur la malheureuse enfant.

 

Furieux cocktail explosif et subversif d’une rare intelligence, The Host revient aux racines politiques du keiju eiga et du premier Godzilla pour mieux critiquer la folie de l’Humanité. Ne reste plus pour sauver la nation que quelques individus soi-disant pathétiques, mais suffisamment volontaires pour renverser le cours des choses. Un long-métrage d’envergure à (re) découvrir d’urgence.

Film sud-coréen de Bong-Joon Ho avec Song Kang-Ho, Hie-Bong Byeon, Park Hae-Il. Durée 1h59. 2006. Date de reprise 8 mars 2023

 

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture